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l’introduire. Leur maîtresse était à demi déshabillée, et allait se mettre au lit. Le mektoubdji, qui ne pouvait maîtriser sa colère, accabla Elmas des reproches les plus grossiers en présence des deux suivantes, et sans même prendre la précaution de parler français. La pauvre femme essaya inutilement de se justifier ; voyant qu’il ne l’écoutait pas, elle voulut, comme d’habitude en pareil cas, lui céder la place. Jetant à la hâte sur ses épaules un peignoir de mousseline blanche, elle se disposait à passer dans la pièce qui servait de cabinet de toilette ; mais Djémil ne l’entendait pas ainsi. Au moment où elle ouvrait la porte, il l’arrêta et la ramena au milieu de la chambre. — Prends garde ! s’écria-t-il. Si à l’avenir tu n’es pas plus prudente, le te ferai déchirer de coups de fouet comme une Ichinguiané arrêtée par la patrouille dans un cimetière !

— Tu n’oserais pas, répondit Elmas en se dégageant de l’étreinte de son mari. — Son peignoir était tombé à terre, et, sans trembler, elle se tenait debout devant le mektovbdji. À ce défi, il devint plus pâle qu’un mort et leva le lourd chapelet qu’il tenait à la main ; les grains de bois retombèrent et frappèrent par deux fois avec un bruit sourd l’épaule nue de la malheureuse femme. Elle s’affaissa sur le tapis ; les esclaves poussèrent un cri de terreur et se cachèrent dans l’angle le plus reculé de la chambre. Le bey fut lui-même effrayé de sa brutalité ; il gagna la porte et disparut sans bruit. Elmas restait immobile : de grosses larmes coulaient le long de ses joues ; une trace rouge qui partait de l’épaulent descendait jusque sur le sein marquait la place où le chapelet l’avait frappée. Après quelques minutes de silence, elle se releva et congédia ses servantes ; puis elle se traîna vers la fenêtre, souleva le treillis de bois qui servait de jalousie et regarda la campagne, éclairée par les rayons de la lune ; mais elle n’entendit pas les oiseaux chanteurs qui peuplaient en foule les arbres du jardin, pas plus qu’elle ne sentit l’humidité de la brise de mer soufflant sur sa poitrine découverte. Quand elle quitta le balcon, ses larmes étaient séchées ; elle avait la démarche assurée, le regard calme comme une femme qui vient de prendre une grande résolution.

L’après-midi du lendemain fut effroyablement chaude : c’était un de ces jours d’été où des vapeurs montent de la terre desséchée, où les pavés brûlent dans les rues les pieds des rares passans. Hommes et bêtes subissaient également l’influence de cette température énervante ; seuls, les moustiques parcouraient l’air sans repos ni trêve, et semblaient célébrer par leurs bourdonnemens la fête du soleil. Maimbert, étendu sur le sofa de son salon, avait laissé tomber son livre et venait de s’assoupir à demi. Il songeait aux événemens de la veille, à l’éventail tombé à ses pieds, à la belle