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LA


MAISON DU BEY


Scènes de la vie du harem.




I.

L’une des maisons de la Grand’Rue de Smyrne était habitée, il y a dix ans, par un Français nommé Antoine Maimbert. Ce Français appartenait à une vieille famille parlementaire plus riche de noblesse que d’argent. Resté orphelin dès l’enfance, il semblait destiné aux paisibles honneurs du tribunal de sa ville de province, où plusieurs de ses ancêtres avaient siégé avant lui, et rien ne faisait supposer qu’il dût venir aborder un jour aux rives du Mélès ; mais les meilleures années de sa jeunesse furent assombries par un chagrin de cœur qui bouleversa son existence. Il aimait depuis longtemps une jeune fille de son pays ; bien qu’elle se fût engagée à lui par des promesses positives, elle lui préféra un prétendant plus riche. Maimbert était à Paris lorsqu’il reçut la nouvelle de cette trahison. Il ne voulut pas revoir sa ville natale, abandonna sa carrière, et vécut plusieurs mois dans une solitude presque absolue. Vers la même époque, un de ses parens qui s’était établi à Smyrne au commencement de ce siècle mourut en lui laissant toute sa fortune ; Maimbert voulut aller recueillir lui-même cet héritage, et quitta la France sans de bien vifs regrets.

Quand il arriva au terme de son voyage, le printemps commençait. Si le pays d’Homère a perdu ses temples, ses portiques, les statues de ses dieux, il a conservé son beau ciel, les eaux bleues de son golfe, les lignes pures de ses montagnes, jadis chantées par les poètes de la « molle Ionie. » On mène une existence douce, calme, un peu monotone, au bord de cette mer qui ne connaît pas les