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un sol absolument identique à celui qui vit germer les autres religions mésopotamiennes. Longtemps elle revêtit les mêmes formes et donna lieu aux mêmes sanglans spectacles. Les réticences calculées des historiens canoniques ne sont pas tellement systématiques que, bien des siècles après Moïse, aux jours mêmes de David et des rois, on ne voie le sacrifice humain faire de temps à autre une hideuse apparition. Cependant de bonne heure l’opposition commence. Le génie plus doux d’Israël se sent de plus en plus froissé par des rites que d’autres peuples supportent et approuvent. Le jour vient où le même patriotisme qui lui défend d’adorer d’autres divinités que son Dieu national lui inspire une répugnance profonde pour les coutumes et les cérémonies étrangères. Le monothéisme en Israël a commencé par l’adoration d’un seul Dieu préféré aux autres, jaloux lui-même des hommages qu’on leur rend. Le phénomène. naturel dont Jéhovah se rapproche le plus par ses traits primitifs, c’est la foudre, cachée dans la nuée orageuse, se révélant par l’éclair, l’embrasement du ciel, ses coups irrésistibles. Là nous voyons poindre la notion d’un Dieu caché, invisible, qu’on ne saurait atteindre. Si l’unité de Dieu dérive plus tard de cette monolâtrie patriotique, le spiritualisme religieux naîtra de ce culte d’un Dieu qu’on ne peut représenter et qui n’a pas d’épouse. Toutefois il ne faut pas se dissimuler que, des deux conceptions de la nature que nous avons distinguées, ce n’est pas la joyeuse, la voluptueuse, c’est la terrifiante qu’Israël apporta du désert. A prendre les noms divins dans le sens qu’ils reçurent plus tard, Moloch est plus près de Jéhovah que Baal, et l’on peut dire que jusqu’à la fin il y eut dans la terreur inspirée par « le nom ineffable » de Jahveh quelque chose qui rappelait l’ancienne parenté.

À la seule condition de ne jamais perdre de vue la vérité pure qui resplendit au terme de ce long développement, ne craignons pas d’en constater les commencemens aussi humbles que grossiers. Il y a autant de sophisme à nier l’éclatante beauté de la fleur à cause des rugosités de la tige qu’à vouloir à tout prix que celle-ci soit belle parce que la première nous ravit. Le philosophe religieux qu’anime l’amour seul du vrai constate scrupuleusement tout le long de l’histoire les moyens termes, souvent étranges pour nous, à travers lesquels passe la conscience de Dieu cherchant une expression toujours meilleure de son contenu divin ; rien ne le rebute, rien ne l’étonne, mais il admire que de ténèbres aussi opaques l’idéal de la sainteté et de l’amour ait fini par se dégager.


ALBERT REVILLE.