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en vertu d’une logique indomptable, par déchaîner les tempêtes et provoquer les catastrophes, ce goût est bien autrement légitime et raffiné que l’ardeur répugnante avec laquelle une foule grossière s’entasse au pied d’un échafaud pour contempler les derniers momens d’un condamné à mort. Si pourtant on analyse en dernier ressort les racines de l’un et de l’autre penchant, on trouvera qu’elles sont identiques. C’est une raison secrète du même genre qui maintint longtemps au sein des peuples antiques ces horreurs sacrées où la foule se repaissait d’une affreuse volupté tragique. Le sentiment qu’il n’y avait rien de si précieux, de si pur qu’on ne dût l’immoler aux exigences divines, la nullité de l’homme et de ses affections les plus intimes devant le maître tout-puissant des choses, le mélange d’horreur, de pitié, de résignation sombre, de confiance dans la vertu du rite, de terreur devant l’énorme Moloch, tout cela devait profondément remuer ces esprits épais, et ils trouvaient bien pauvre, bien froid un culte humain comme le jéhovisme épuré des prophètes hébreux. Il faut bien qu’il en ait été ainsi pour que ces derniers aient échoué, jusqu’à la captivité de Babylone, dans leurs efforts pour extirper cette odieuse superstition. Il est même à croire que tous les parens ne se soumirent pas en gémissant au préjugé qui leur enlevait leurs enfans. Il dut y en avoir qui, dans l’idée d’acheter très cher, mais sûrement, les faveurs divines, ou qui, poussés par le remords vengeur de quelque crime ignoré, condamnèrent leurs propres enfans à la mort sacrée pour acquérir le repos de leur conscience ou la prospérité matérielle. Au fait, — car à chaque instant nous retrouvons dans des temps voisins du nôtre des calculs religieux qui ne diffèrent de ceux d’autrefois que par leur forme plus subtile, — ces mères qui, pour expier d’anciennes fautes, vouaient d’avance au lent suicide de la vie claustrale leurs jeunes et charmantes filles pleines de vie et d’espérances différaient-elles autant qu’on le croirait à première vue des Cananéens plus qu’à demi brutes qui menaient leurs fils aînés jusqu’auprès du brasier où Moloch devait les dévorer ?

C’est en vertu d’un même raisonnement que la mutilation sexuelle et la prostitution forcée furent érigées en devoirs religieux, non plus seulement par sympathie pour la nature amortie ou amoureuse, mais dans l’idée que l’homme et la femme sont tenus de sacrifier à la Divinité ce qu’ils ont de plus précieux. C’est peut-être cette conséquence identique de deux principes différens qui servit de trait d’union aux deux conceptions hétérogènes que nous voyons amalgamées dans l’antique religion phénicienne.

On ne saurait trop admirer l’énergie du sentiment moral et humain qui valut à la religion d’Israël l’inappréciable avantage de se purifier de toutes ces souillures. Par ses racines, elle plongeait dans