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celle d’un drame imposant dont la nature visible fournit à la fois le théâtre et les acteurs. Cette nature en elle-même n’a rien de moral ; ses évolutions, ses changemens, ses luttes apparentes sont comprises par analogie avec des relations tout humaines. Le ciel ou le soleil sont amoureux de la terre ; celle-ci l’est de son amant céleste, ils s’unissent, et de leurs amours fécondes naissent les merveilleux et innombrables enfans que le printemps voit pulluler. Déjà dans cette notion qui se retrouve dans plus de cent mythologies, il y a comme une consécration divine du rapport sexuel dans toute sa brutalité. La prostitution sacrée viendra de là ; mais le drame se complique : la terre n’est pas toujours fécondée par les tièdes haleines du ciel amoureux. Les ardeurs de l’été ou bien le froid meurtrier de l’hiver sont venus tuer l’idylle souriante du printemps. C’est une autre divinité, jalouse ou vindicative, qui a voulu prendre la place du dieu bienfaisant. Elle inspire la terreur, tout au moins la répulsion ; ce n’en est pas moins une divinité, et, sur le terrain où nous nous sommes placés, il n’y a pas l’ombre d’un motif pour que son caractère odieux fasse le moindre tort à la vénération dont elle doit être l’objet. Par conséquent, pour lui plaire, ou lui rendre hommage, ou lui ressembler, ou bien pour s’associer à la passion du dieu qui a succombé, on s’ingéniera à reproduire par des mutilations ou des prostitutions de divers genres les péripéties imaginaires du drame céleste. Et même quand un obscur sentiment de panthéisme ou de monothéisme percera au milieu de ces ingénuités dangereuses, quand on se dira que c’est au fond la même divinité qui se présente tantôt comme époux, tantôt comme épouse, ici fécondant, là fécondée, — ce qui revient à dire que, dans la perfection de l’être divin, la distinction sexuelle n’est qu’une apparence, — on verra se former ces hideux collèges de prêtres qui n’ont plus de sexe ou qui prétendent les réunir tous les deux[1].

Ici se présente un second et très essentiel élément du problème que nous tâchons de résoudre. Dans nos sociétés civilisées, surtout dans les classes instruites, l’individualité réagit sans cesse contre les entraînemens de l’opinion ou des émotions publiques. Nos intérêts, nos convenances, nos réflexions personnelles viennent continuellement à la traverse des courans d’idées et des coutumes

  1. C’est ce fonds lugubre et répugnant que la mythologie grecque transformait à sa manière rieuse et même encline à l’ironie, quand elle racontait les amours d’Hercule et d’Omphale, reine de Lydie. Omphale est une lune, une sorte d’Aschera. Dans le mythe grec, elle revêt des habits d’homme et son robuste amant s’habille en femme, filant aux pieds de sa belliqueuse maîtresse. Les prêtres qui célébraient ce culte singulier reproduisaient dans leurs cérémonies cette interversion des sexes.