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de ces simplifications de l’idée religieuse qui président toujours à ses progrès et supposent toujours un certain puritanisme. D’ailleurs il ne faut pas oublier que le peuple d’Israël lui-même n’échappa d’une manière définitive aux erreurs et aux attrayantes corruptions des peuples cananéens qu’après une série de révolutions et de catastrophes qui le passèrent au crible. D’une population nombreuse et mélangée, les événemens ne laissèrent subsister qu’une élite, unie par la foi, la persévérance et la pureté du sang. Ne confondons pas les Israélites et les Juifs. Ce serait comme si l’on identifiait tous les Français avec les habitans d’une ou deux provinces. Les Israélites divisés en douze tribus, puis en deux royaumes, écrasés successivement par les formidables empires de Ninive et de Babylone, disparurent en tant que nation compacte. Il ne revint de l’exil chaldéen que « des hommes de Juda, » des Judéens ou Juifs, avec quelques fidèles des tribus voisines, et ces réchappés des grandes tourmentes formèrent un peuple nouveau, qui provenait, mais qui différait aussi beaucoup du vieil Israël du temps des rois et des grands prophètes. Jamais les Phéniciens n’eurent à passer par de telles écoles.


III

Reste encore une question du plus haut intérêt se rattachant à ces vieilles religions orientales dont celle des Phéniciens peut passer jusqu’à un certain point pour le résumé. Comment s’expliquer ce mélange de volupté licencieuse et de cruauté qui pouvait s’allier chez elles à des conceptions dont on ne peut méconnaître ni la sublimité ni la pureté morale ?

C’est ici surtout qu’il faut savoir se dépouiller de nos habitudes modernes d’esprit. Nous sommes accoutumés par la tradition chrétienne, sinon a confondre, du moins à unir étroitement les trois idées de religion, de moralité et d’humanité. Sans doute l’église chrétienne est loin d’avoir toujours, comme elle l’aurait dû, mené de front dans l’application ces trois grands principes. Plus d’une fois dans son histoire, on a vu soit la moralité, soit l’humanité, sacrifiées odieusement à des calculs dont la religion était l’excuse ou le prétexte. Quand par exemple le trafic des indulgences était poussé de manière à encourager le vice et le crime en permettant aux coupables de croire qu’ils pouvaient se racheter à prix d’argent, ou bien lorsque, pour maintenir l’unité de la foi, les tribunaux ecclésiastiques immolaient de véritables hécatombes humaines, on ne peut certainement pas dire que le christianisme fût alors l’inspirateur d’une morale pure ni d’une philanthropie éclairée.