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qu’on lui rendait se célébrait de préférence sous les arbres verts, au fond des vallées ombreuses ; son symbole était une boule ou un cône de bois. Et dire que de là s’est dégagée à la fin la Vénus Aphrodite, fille de l’onde amère,

Qui fécondait le monde en tordant ses cheveux !


La théorie de M. Darwin peut avoir bien des applications[1].

Parmi les reliquats de la mythologie phénicienne qui ont joui d’une célébrité prolongée loin des limites de leur pays d’origine, il faut attribuer une première place à ce culte mystérieux des cabires, dont nous parlent les auteurs grecs et latins, qui fut même l’objet d’un véritable engouement pendant une certaine période de l’empire romain. Peu de religions antiques ont plus intrigué les chercheurs. La plupart de ceux-ci, faute de connaître de près le sémitisme, ont fait fausse route dans leurs explications. M. Preller par exemple, l’auteur qu’on peut appeler classique aujourd’hui en matière de mythologie grecque, n’y a rien compris. Lemnos, Samothrace, Imbros, Thèbes, plusieurs localités de l’Asie-Mineure, eurent leurs mystères cabiriques. Les Grecs modifièrent profondément la donnée primitive, mais on reconnaît toujours l’origine orientale des idées religieuses qui s’y rattachent. En fait, c’est surtout en Phénicie qu’ils sont indigènes ; il y a même des traces de leur existence à Carthage.

Le nom des cabires est sémitique, kebirim, les êtres de grande taille, les robustes ou les héros. C’est un groupe de grands dieux réunis en un système. Le nom de patèques, qu’ils portent aussi parfois, est égyptien et indique l’idée de sculpter, former, marteler. Les Grecs en firent les pygmées, mot qui trahit aussi son origine phénicienne, — car Pugm est le nom d’un dieu phénicien ; mais en grec pygmé signifiait poing, et les Grecs en conclurent que les pygmées étaient des nains, gros comme le poing. Peut-être furent-ils fortifiés dans cette erreur par le pygmé que tout navire phénicien portait en guise de talisman sur son gaillard d’avant. Ce qu’ils étaient en eux-mêmes, bien que leurs noms personnels nous soient inconnus, n’est pas douteux. Ils étaient les architectes, les formateurs du monde, et par extension les fauteurs de la civilisation. C’est aussi pourquoi ils passèrent pour les inventeurs de la navigation et de l’art de guérir. Ils étaient au nombre de sept, ce qui suppose un emprunt aux idées astronomiques. Les planètes connues

  1. Ce n’est pas Vénus Astarté, c’est Vénus Aschera qu’Alfred de Musset aurait dû dire dans son fameux prologue de Rolla, pour être entièrement fidèle à la vérité historique dans ce fragment, où d’ailleurs il a si admirablement décrit l’esprit du polythéisme antique.