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toujours assez le grand rôle qu’ils jouent dans l’histoire de la civilisation primitive. Ce sont eux qui ont appris la lecture et l’écriture à notre Occident ; l’usage de la monnaie comme moyen d’échange paraît devoir leur être attribué ; c’est par eux que la vieille civilisation mésopotamienne déposa tout le long des côtes de l’Europe les germes vivans dont s’empara plus tard le génie ardent des populations helléniques. L’Archipel, la Grèce, l’Italie, la Sicile, l’Afrique du nord, l’Espagne, la Gaule méridionale et occidentale, la Grande-Bretagne, probablement même les côtes de la Mer du Nord, virent leurs audacieux marins exploiter seuls pendant des siècles leurs richesses naturelles. Une bonne partie de la mythologie grecque ne s’explique bien que par la religion phénicienne, par exemple les mythes d’Hercule, de Vénus et même plusieurs de ceux dont Zeus ou Jupiter est le héros. Si les Phéniciens restent en arrière de l’Égypte comme architectes et artistes, ils ont bien plus agi sur le monde que le peuple, refermé sur lui-même, de la vallée du Nil, et de combien s’en est-il fallu que la fortune de Rome fût éclipsée par celle de Carthage ?

La Phénicie n’était guère autre chose qu’un littoral montant doucement vers les sommités du Liban, borné au nord par la Syrie et longeant le territoire proprement dit de la Palestine. De nombreux cours d’eau, descendant des montagnes, sillonnent cette bande de terre, tels que le Léontès, le Tamyras, l’Adonis, qui chaque année en automne se teignait d’une teinte rougeâtre, le Kadisha ou rivière sainte, etc. La région était fertile, très peuplée, pleine de grâces et d’attraits, plena gratiarum et venustatis, dit Ammien Marcellin. Parmi les villes remarquables qui avaient grandi sur ces plages fortunées, l’antiquité connaissait Arwad (en grec Orthosia), Tripolis, Byblos ou Gebal, Beryte (aujourd’hui Beirouth), Sarepta, Tyr et Sidon, ces deux dernières en possession d’une grande prépondérance. Sidon fut longtemps la métropole. Dans la Bible, les Sidoniens signifient souvent les Phéniciens en général. Eux-mêmes se disaient habitans de Canaan. On a émis bien des conjectures sur le sens du nom de Phénicien, qui nous est verni des Grecs. Celle qui se recommande par sa plus grande vraisemblance rattache ce nom aux forêts de palmiers qui descendaient jusqu’à la mer et frappaient en premier lieu les regards des navigateurs. C’est le palmier qu’on remarque le plus souvent sur les monnaies de Sidon et de Tyr ; on le voit encore sur les monnaies carthaginoises, mais le plus souvent associé au cheval, cette autre beauté de la côte africaine. Sidon semble avoir attiré la première grande immigration par l’abondance du poisson près de son rivage, et Le sens de son nom confirmerait cette conjecture. La pêche forma