Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/370

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous avez voulu seulement faire une manifestation retentissante, quitte à rentrer le lendemain dans le néant, vous confessez vous-mêmes votre impuissance et l’inanité de vos prétentions. Si au contraire vous voulez pousser les choses à la dernière extrémité, joindre les faits aux paroles et faire suivre vos menaces par des actes de violence, alors vous n’êtes plus des hommes politiques, vous n’êtes plus des républicains sincères ; vous êtes des ennemis publics.

Les radicaux savent-ils seulement où ils courent avec cette légèreté fanfaronne et présomptueuse qui semble être, hélas ! le propre de leur parti ? Imaginons, s’ils le veulent, qu’ils soient la majorité du pays : ils n’en seront pas moins l’infime minorité de l’assemblée nationale. Or il est impossible de rien faire contre elle, pas même la dissolution, si elle ne s’y prête de bonne grâce ou si elle ne s’y résigne par nécessité. Supposons que tous les vœux des radicaux se réalisent, — que partout les républicains modérés succombent devant eux, — que par conséquent ils réussissent à faire tomber le gouvernement de M. Thiers, ou à le rejeter du côté de la droite en l’obligeant à y chercher son point d’appui. Que seront-ils alors par eux-mêmes ? Que pourront-ils contre cette assemblée, qui est en définitive le seul pouvoir légal du pays ? Ils auront devant eux les rangs épais d’une majorité monarchique, qui refusera obstinément de se dissoudre, et qui se cramponnera avec d’autant plus d’ardeur au pouvoir qu’elle ne verra plus aucun intermédiaire entre elle et la république radicale. Que feront-ils pour vaincre sa résistance ? Insurgeront-ils Paris contre elle ? Exciteront-ils les campagnes à la guerre sociale ? Ils reculeront, nous aimons à le croire, devant l’emploi de ces moyens extrêmes, et cependant il n’y en aura plus d’autres. Voilà le chemin qu’ils prennent sans le savoir. Ils marchent de gaîté de cœur à la guerre civile ou au triomphe incontesté de la réaction monarchique, c’est-à-dire dans tous les cas à la ruine de la république.

Les radicaux prétendent qu’on les calomnie quand on les représente comme les ennemis de M. Thiers. Ils ne veulent pas renverser le gouvernement ; ils veulent seulement lui donner une leçon. — Les partisans de la monarchie disent aussi tous les jours qu’ils votent contre le gouvernement pour lui donner une leçon, pour le ramener à des sentimens meilleurs, mais qu’ils ne veulent pas le renverser, et que, malgré les apparences, il n’y ont jamais songé. Quelle a été jusqu’à présent la conséquence de cette ingénieuse politique ? C’est que le gouvernement, repoussé par la droite, a cherché son point d’appui dans la gauche et s’y est peut-être engagé plus avant qu’il ne le voulait d’abord. — Heureusement vous vous trouvez là, grands radicaux et grands tacticiens que