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III

Il y a quelque temps, nous aurions répondu hardiment, quoique avec tristesse : « Ce sont les conservateurs. » Aujourd’hui la question nous paraît plus que douteuse. Ce qu’il y a de certain, c’est que les deux partis rivalisent d’inintelligence et de folie, et que les radicaux, pour le moment, sont loin d’être en reste avec les conservateurs. Si ces derniers font tout ce qu’ils peuvent pour ruiner l’influence des idées conservatrices, les radicaux, leurs dignes émules, travaillent avec une ardeur sans pareille à tuer la république. C’en est fait, paraît-il, de leur modération passagère ; ils se sont réveillés de leur sommeil, et ils veulent qu’on s’en aperçoive. Comme les conservateurs monarchistes, ils veulent faire sentir au gouvernement le prix de leur alliance et la force de leurs bras. Sans doute l’opposition de gauche a d’autres visées que l’opposition de droite ; mais elles s’accordent fort bien toutes les deux en ce sens qu’elles veulent l’une et l’autre que le gouvernement soit faible.

Il a donc paru aux radicaux, comme aux royalistes, que la libération du territoire leur rendait toute leur liberté d’action, et qu’il était temps de faire une charge à fond contre la république conservatrice. C’est ainsi du moins qu’en a jugé l’homme d’état de la guerre à outrance, le dictateur de Tours et de Bordeaux, qui est en train, comme chacun sait, de passer à l’état de pape infaillible du parti républicain. Les radicaux d’ailleurs ont pris exemple de la droite : tout en faisant la guerre au gouvernement, ils n’entendent pas que le gouvernement voie en eux des ennemis. Ils protestent encore plus haut que les chefs du gouvernement de combat contre les desseins hostiles qu’on leur prête ; ils affirment, comme M. de Kerdrel, la parfaite innocence de leurs intentions. Le gouvernement, pour lequel ils n’ont, paraît-il, que des sentimens d’amour, leur semble en ce moment fourvoyé et affaibli ; ils entendent seulement lui prouver leur tendresse en lui donnant un avertissement sévère, et en lui infligeant un échec qui l’affaiblisse un peu davantage. Décidément l’hypocrisie des partis monarchiques est au moins égalée par celle du parti radical. Les hauts et puissans seigneurs de la commission des trente sont dépassés par les grands personnages du cénacle de M. Gambetta. C’est en invoquant le nom de M. Thiers, en affectant de se dire ses amis, qu’ils remportent sur lui des victoires qui sont pour la France une véritable humiliation nationale !

Leur conduite ne nous surprend d’ailleurs qu’à moitié ; ce n’est pas la première fois qu’ils donnent au pays la mesure de leur