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est compromise lorsque l’autorité s’affaiblit. Lorsqu’une assemblée veut changer de direction, elle n’a qu’à changer de chef. Si elle ne peut pas en changer, c’est que le chef qu’elle a lui est nécessaire, et alors c’est pure folie que de s’amuser à l’affaiblir quand on ne veut pas le renverser.

Assurément, ni le président de la république ni ses collègues n’ignoraient rien de tout cela le jour où ils ont conclu leur arrangement avec la commission des trente. Qu’est-ce donc qui les a décidés à donner leur assentiment à des mesures qu’ils qualifiaient eux-mêmes de puérilités et de subtilités misérables ? Le fond de leur pensée n’est pas difficile à connaître. Ils ont cru que ce n’était pas l’heure, au moment où la libération du territoire allait s’accomplir, de soulever des difficultés de détail et de mettre la sécurité publique en péril en s’exposant à une crise de gouvernement. Ils ont cru d’ailleurs que ce grand et heureux événement changerait le cours des idées, apaiserait les esprits, dissiperait les illusions de l’opposition monarchique, calmerait les impatiences du parti républicain, les rendrait enfin l’un et l’autre plus raisonnables et plus accommodans. Ils se sont imaginé que les monarchistes de l’assemblée ne pourraient s’empêcher eux-mêmes de réfléchir sur le triste avenir qu’ils préparent à la France, si, à peine affranchie de l’occupation étrangère, ils la condamnent à faire une révolution de plus. Ils ont espéré qu’il se formerait dans l’assemblée, comme dans le pays, un grand parti conservateur indépendant de toute opinion monarchique, et qu’il se détacherait de l’opposition un grand nombre d’hommes sincères qui, sans cacher leurs préférences pour la royauté constitutionnelle, sentiraient que leur intérêt et leur devoir consistent aujourd’hui à seconder de toutes leurs forces l’établissement d’une république légale et modérée. On sait que le chef de l’état n’est point un doctrinaire fanatique. Il n’a jamais voulu la mort du pécheur ; si endurcis que soient ses adversaires, il ne se lasse pas de travailler à leur conversion. Sa république n’est pas une de celles où il faille entrer par la porte basse et où le droit de cité soit difficile à conquérir. Il n’est pas besoin, pour y pénétrer, de faire violence à personne ou de passer par le trou d’une aiguille, comme pour entrer dans le royaume des cieux. La porte en est toujours grande ouverte à quiconque désire y fixer sa demeure, et si elle finit, comme tant de gens le prédisent, par tomber entre les mains du parti radical, ce sera la faute des conservateurs, qui, au lieu de s’y établir paisiblement, auront follement persisté à vouloir s’y introduire par la brèche, et à s’y présenter comme des ennemis.