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administratives. Il le sent, il le sait, on a pu s’en convaincre ; mais il se laisse détourner par les passions sociales, par son amour de l’unité, auxquels s’ajoutent les ardeurs, les mobilités du caractère national. Au lieu de demander à des efforts constans, égaux, ininterrompus, des conquêtes lentes, mais sûres, il obéit aux impressions du moment, aux entraînemens des circonstances. Ou bien il attaque la royauté sans calcul sans mesure, et par ses excès mêmes se condamne à l’impuissance, ou bien il prodigue au monarque une confiance sans limite, une soumission sans réserve. Il passe de la révolution à l’abdication volontaire. Et ainsi, tantôt se révoltant comme en 1355, tantôt s’abandonnant, comme sous Charles VII, aidant la royauté à amoindrir les seigneurs, mais ne profitant point des seigneurs pour contenir la royauté, s’il a l’honneur de fonder avec l’administration monarchique l’unité nationale, en revanche il construit de ses propres mains les fondemens de cette centralisation absorbante dont le despotisme de Louis XIV est la plus complète expression.

N’y a-t-il pas là pour nous, aujourd’hui plus que jamais, des leçons à méditer, des enseignemens à suivre ? Ne nous retrouvons-nous point dans ces hommes du vieux temps, dans leurs exagérations comme dans leurs défaillances ? En transformant la société, 1789 n’a changé ni la race ni le caractère national ; il nous a donné l’égalité civile, mais en brisant un trône il n’a point supprimé le seul obstacle qui nous séparât de la liberté. Cette liberté, qui n’est au fond que l’ordre durable établi sur le respect des devoirs et l’exercice des droits, si depuis quatre-vingts ans que nous la cherchons elle nous échappe sans cesse, si de perpétuelles alternatives d’action et de réaction nous font osciller entre la licence et le despotisme, entre les révolutions et les coups d’état, c’est que tous tant que nous sommes, descendans des anciens seigneurs ou héritiers de l’ancien tiers-état, nous manquons de l’esprit de mesure, de concorde et de transaction.

Voilà l’intérêt suprême de l’histoire des états-généraux, voilà son lien étroit, intime, avec notre vie moderne, avec nos préoccupations de tous les jours. L’écrire comme M. Picot, ce n’est pas faire œuvre d’archéologue, c’est rappeler aux contemporains des exemples toujours vivans, toujours salutaires ; l’étudier, ce n’est pas s’absorber dans des souvenirs sans vie et sans application, c’est éclairer le présent par le passé et se préparer pour l’avenir.


EUGENE ADBBY-VITET.