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convoquer les états, en revanche une vive animosité contre les ordres privilégiés et surtout contre la noblesse. Plus pénétré chaque jour de son importance, fier de tous les emplois de plus en plus nombreux qu’il occupait dans l’état, le tiers redoutait l’esprit de domination du clergé, souffrait impatiemment surtout les dédains d’une noblesse hautaine, qui, jalouse elle-même de ces emplois et de cette importance, ne négligeait aucune occasion d’humilier la roture, et ne songeait qu’à reprendre de haute lutte ce qu’à ses yeux le tiers avait usurpé, Or de quelles réclamations étaient nés les états-généraux ? Qui donc les avait imposés à la cour ? Les princes, c’est-à-dire les chefs factieux de cette noblesse turbulente, dans lesquels la nation voyait avec effroi les instigateurs d’une nouvelle guerre civile. Ainsi crainte de l’anarchie, rivalités d’amours-propres, antagonismes de classes, tout se réunissait pour exciter au sein des états, en 1614, les ordres les uns contre les autres.

Les tristes résultats de ces dispositions ne se font point attendre. Dès les premiers momens des froissemens de vanités, de puériles questions de préséance et d’étiquette occupent et irritent les députés. A la séance royale d’ouverture, l’orateur de la noblesse, le baron de Saint-Pierre, se répand contre le tiers en paroles blessantes. On juge si le tiers à son tour laisse tomber ces propos. Cependant les travaux des états s’organisent. Le premier acte de la noblesse est une attaque indirecte au tiers-état. D’accord avec le clergé, elle propose au troisième ordre de demander avec elle la suspension du « droit annuel » ou paulette. On juge quelle atteinte c’était porter aux officiers de finance et de justice, auxquels cette redevance assurait la propriété et l’hérédité de leurs offices. Le tiers sent le coup et ne peut s’y soustraire, sous peine de trahir des préoccupations trop personnelles. Bon gré mal gré il se joint donc au vœu des premiers ordres, mais riposte aussitôt en réclamant du même coup la surséance de toutes les pensions, — soit 6 millions d’économies aux dépens de la cour et de la noblesse, — et grâce à ces économies le retranchement du quart des tailles. Là-dessus, conflit. La noblesse s’en tient exclusivement à sa proposition, qui ne lui coûte rien. Le tiers de son côté, soutenant les intérêts des titulaires d’offices, lesquels, nombreux dans le troisième ordre, nourrissaient le secret espoir que « la demande des trois ensemble serait la cause du refus entier[1], » déclare qu’il ne disjoindra pas ses trois réclamations. Mille petits incidens attisent la querelle : tantôt c’est le tiers-état qui prend feu, parce que des gentilshommes ont tenu sur Savaron, l’orateur du troisième ordre,

  1. Procès-verbal du tiers, cité pas M. Picot, t. III, p. 342.