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condamné sa politique persécutrice. Il avait eu un premier démêlé avec le saint-siège lorsqu’il s’agissait de remplacer le comte d’Arnim, qui vient d’exercer avec tant de distinction les fonctions diplomatiques les plus délicates dans notre pays, en y portant un esprit élevé et large qui a singulièrement facilité le traité de la libération de notre territoire. M. le comte d’Arnim devait avoir pour successeur le cardinal de Hohenlohe, qui aurait représenté non plus seulement le royaume de Prusse, mais l’empire d’Allemagne. Cette prétention n’avait pas été acceptée au Vatican. Les états particuliers ont seuls à traiter avec le pape pour la nomination de leurs dignitaires ecclésiastiques ; l’empire, à ce point de vue, n’a aucun motif de se faire représenter. Le seul but de M. de Bismarck était de peser davantage sur la curie romaine pour en obtenir des concessions. Ce n’est pas le cardinal Antonelli qu’on eût pris à un piège aussi grossier. Le pape ne veut pas non plus d’ambassadeur ecclésiastique, par la raison bien simple qu’il semblerait reconnaître par là que sa souveraineté a revêtu un caractère purement spirituel ; c’est la dernière des concessions qu’il fera. Son refus péremptoire avait déjà causé à Berlin une vive irritation, qui devint une véritable fureur après l’allocution du saint-père.

On connaît toute la véhémence de Pie IX. Rien ne l’abat ni ne le décourage ; il n’est pas possible de refuser son respect à cet indomptable vieillard, quelque jugement que l’on porte sur l’influence fatale de son pontificat, qui a tout poussé à l’extrême. Privé de sa couronne temporelle, relégué dans son Vatican, il en a fait le Patmos d’une cause irrévocablement vaincue ; sa parole enflammée. ne cesse de défier tous les pouvoirs, y compris celui de l’opinion libérale, qu’il foudroie tous les jours. Ces protestations, il est vrai, ne lui attirent aucun péril, et sa véhémence donne la mesure de la liberté dont il jouit. L’Italie y trouve une ample réfutation de la légende du pape captif. Ce qu’on ne peut s’empêcher d’admirer, c’est cette énergie dans l’anathème, cette verve intarissable de l’invective sacrée, qui dénote une vieillesse aussi vigoureuse qu’irréconciliable. Le jour où le saint-père stigmatisa la Prusse, il fut mieux inspiré que de coutume sur ce trépied de colère qu’il quitte rarement. Il est vrai qu’il avait quelque raison de se plaindre. Il ne recula pas devant les mots blessans. On comprend l’effet qu’ils produisirent à Berlin, dans cette cour où l’on joue aussi à l’omnipotence. Parler ainsi de la sainte Allemagne, qui prétend faire marcher la Divinité sous ses drapeaux, quel crime de lèse-majesté ! C’était vraiment la guerre des dieux. L’allocution papale fut mise à l’interdit, et l’on poursuivit les journaux qui la reproduisirent. La vraie réponse fut la présentation des quatre projets de loi destinés à compléter l’œuvre d’asservissement si bien commencée.