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sont en sueur ; nulle ordure, nul animal. C’est mort ; la lumière n’éclaire qu’un cercle très restreint ; au-delà et en-deçà tout disparaît. La vie obscure des cryptogames s’y développe cependant, mais seulement dans les parties nouvellement réparées. Sur les parois, on aperçoit à certaines places une sorte de nœud central, de couleur brune sombre, plat, et d’où s’élancent des ramifications filiformes si parfaitement appliquées au revêtement qu’il est impossible de les en détacher et qu’elles semblent en faire partie ; on dirait une araignée végétale qui aurait tissé là une trame circulaire pour une toile en soie noire. Cette plante singulière, qui aime l’obscurité, l’humidité et le ciment tout neuf, qui affecte des attitudes baroques et multiplie tellement ses minces ramures que celles-ci font tache sur la muraille, est tout simplement un champignon, le rhizomorpha sublerranea.

Quoique la température soit en général peu variable dans ces longues galeries souterraines, celle de l’eau subit cependant quelquefois des soubresauts assez vifs, — de 26 degrés à zéro, — ce qui suffit pour produire dans le ciment des contractions et par conséquent des fissures. Or nul n’ignore qu’un vase fêlé laisse échapper l’eau qu’il contient ; il faut donc réparer en toute hâte l’aqueduc. On use alors d’un moyen fort ingénieux : au lieu de refaire la paroi détériorée, on y creuse un caniveau en briques que l’on conduit à même hauteur dans la paroi placée vis-à-vis. Cela fait une sorte d’arc creux qui passe sous la cunette tout entière ; par l’une des ouvertures, on verse du goudron liquide qui prend niveau et oblitère la fissure. L’eau coule donc de nouveau sur un corps absolument imperméable et gagne ainsi sans déperdition les larges bassins, où elle se repose avant d’être distribuée dans les différens quartiers de la ville. L’Ourcq aboutit à l’angle de la rue du Rocher et du boulevard des Batignolles, dans deux vastes réservoirs accolés qui jaugent facilement 9,000 mètres. La construction en est vicieuse, car ils sont à ciel ouvert. L’eau y subit toute sorte de mauvaises influences, elle peut y geler en hiver, y tiédir en été ; la poussière y arrive à flots par les vents d’est ; le voisinage d’une gare de chemin de fer lui envoie des escarbilles et de la suie ; parfois elle « surit, » se couvre de pointillés verdâtres, et ne tarderait pas à être envahie par des végétations parasités, si l’on n’y veillait attentivement. Aussi les réservoirs de Monceau exigent des soins particuliers. Tous les deux ou trois mois, il faut les mettre à sec : on en jette le contenu dans un égout à l’aide d’une vanne de communication ; on récure les bassins, on les débarrasse de tous les dépôts qui les encombrent, puis on ramène l’eau, — et c’est bientôt à recommencer. Pendant le siège, l’Ourcq nous manqua ; le