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le procédé était très simple : on allait à la rivière puiser directement une eau qui ne devait pas être d’une limpidité irréprochable, car à cette époque la Seine recevait et charriait toutes les immondices riveraines ; c’était à la fois l’abreuvoir et l’égoût général. Plus tard, quand, trop étouffée dans son enceinte étroite, la ville eut franchi les rives du fleuve, qu’elle eut défriché le bois des Charbonniers, où le Louvre s’élève aujourd’hui, qu’elle eut consolidé les marais qui portent l’Arsenal, qu’elle eut construit le bourg Thiboust, le Beau-Bourg, le bourg l’Abbé, qui prenait son nom de l’abbaye Saint-Martin, et qu’elle eut jeté comme une vedette sur les dernières inflexions du mont des Martyrs la maladrerie de Saint-Lazare, elle trouva que la Seine était bien loin, et elle eut soif. Les Parisiens qui avaient enjambé la berge gauche de la Seine étaient moins malheureux. Ils avaient d’abord la rivière de Bièvre, qui alors se jetait en amont du Petit-Pont, à peu près en face de Notre-Dame ; ce furent les embellissemens de Charles V qui, la repoussant vers l’est et lui creusant un nouveau lit, la firent aboutir au-dessus du point où nous voyons le pont d’Austerlitz. En outre ils avaient les eaux d’Arcueil, amenées par un aqueduc romain dont on fait remonter la construction à Julien, et qui fut renversé, dit-on, pendant le IXe siècle par une incursion normande ; ce ne fut du reste qu’en 1544 qu’on en retrouva les vestiges.

Les moines de Saint-Laurent cherchèrent le moyen de boire sans avoir recours à la Seine. Ils découvrirent ce qu’on nomme encore fort improprement, comme nous aurons à le dire, les sources du nord, prises sur les hauteurs de Romainville, des Bruyères, de Ménilmontant, et les réunirent dans un réservoir commun aux Prés-Saint-Gervais, d’où elles s’écoulaient par des tuyaux de plomb dans la direction déterminée. Plus tard, l’abbaye de Saint-Martin-des-Champs, qui est aujourd’hui le Conservatoire des arts et métiers, capta les eaux de Belleville et construisit un aqueduc souterrain de 1,200 mètres environ qui les amena jusqu’au lieu de consommation. C’est là le point de départ très humble de notre système de distribution des eaux. Les travaux exécutés par les moines ont été souvent réparés, il ne reste plus rien des constructions primitives ; mais les sources ne sont point taries, elles donnent toujours un faible contingent, que nous apprécierons lorsque nous conduirons le lecteur à Belleville et aux Prés-Saint-Gervais.

Cette eau était sans doute presque exclusivement consacrée au service des deux monastères et des bourgades bâties à leur ombre ; ce fut Philippe-Auguste qui en généralisa l’usage et y fit participer la population parisienne. Il avait acheté aux religieux de Saint-Lazare la foire qu’il transporta aux halles en 1183 : en même temps