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défense faiblement organisée, faiblement commandée, plie sous la multitude. Le corps législatif est aussitôt envahi ; au même instant, l’impératrice quitte les Tuileries sous la sauvegarde du prince de Metternich, de M. Nigra, qui la mettent dans une voiture de place aux abords du Louvre, et avant quatre heures du soir tout est accompli sans une apparence de collision, sans qu’un coup de feu soit tiré, sans qu’il y ait une résistance des derniers défenseurs de l’empire. Un immense vide s’est fait tout à coup, et dans ce vide surgit un gouvernement nouveau qu’on appellera la république ou le gouvernement de la défense nationale, dont la première pensée est d’aller chercher le général Trochu, dernière autorité militaire demeurée, intacte dans sa popularité, au milieu de la débâcle du régime impérial.

Qui pouvait empêcher le 4 septembre ? Ce n’est point le dénoûment d’un conflit meurtrier entre un gouvernement et une insurrection de parti ; ce n’est point le dernier mot d’un complot dont tout le succès serait dû à l’inaction ou à la prétendue complicité d’un général appelé à en recueillir le bénéfice assurément peu enviable. C’est le fatal et cruel résultat de Sedan, d’une irrésistible émotion publique et de la confusion, du déclin des pouvoirs depuis cinq semaines. Que le général Trochu se fût trouvé de sa personne aux Tuileries ou au corps législatif au lieu d’être au Louvre ou de chevaucher sur les quais à travers la foule, rien n’eût été sensiblement changé. Sans doute il eût mieux valu s’en tenir à cette sorte de révolution légale que proposait M. Thiers en conseillant, comme il l’a dit dans l’enquête sur le 4 septembre, de se servir du corps législatif pour déclarer le trône vacant, nommer une commission de gouvernement et préparer la convocation d’une assemblée nationale. Les événemens marchaient plus vite que toutes les réflexions et toutes les délibérations. La révolution était faite avant qu’on eût pris des mesures pour l’arrêter ou la régulariser. C’était inévitable, et ce n’était pas moins un nouveau péril au milieu de tant de malheurs.

Ce soir-là qui ne s’en souvient ? Paris offrait un spectacle étrange, le spectacle d’une population répandue de toutes parts, promenant la frivolité de ses impressions, oubliant ou paraissant oublier la défaite, parce qu’elle venait d’assister par un beau soleil d’automne à la fin d’un empire. Si « Paris ne fut jamais plus joyeux, » selon le mot de M. Jules Favre, cette joie insouciante et légère gardait je ne sais quoi de poignant, car derrière l’empire disparu il y avait l’invasion s’avançant à grands pas au cœur de la France ; derrière cette révolution si facilement victorieuse, il y avait une guerre plus terrible que jamais, un siège désormais imminent, et, pour