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On se trompait, le général Trochu ne songeait nullement à trahir l’empire ; il était trop préoccupé pour lui-même d’échapper au renom douloureux d’un Marmont. Il jugeait seulement les choses sans illusion, et après avoir prévu à la veille de la guerre des malheurs que personne ne croyait possibles, il comprenait maintenant que l’empire était absolument à la merci d’un nouveau revers militaire. Il pensait que ce n’était plus le moment d’employer la force matérielle contre les émotions et les explosions de la rue, qu’on ne pouvait agir désormais que par ce qu’il appelait la « force morale, » en cherchant à « entraîner l’esprit public dans le sens du patriotisme. » Il se flattait d’être cette force morale, et il le disait avec une expansion un peu naïve qui, en ajoutant à sa popularité, en gagnant l’opinion, redoublait les défiances du gouvernement. Voilà la vérité vraie. On voyait avec ombrage l’ascendant du général Trochu, qui à son tour se trouvait dans cette position assez bizarre d’un chef militaire employé ou subi par un gouvernement et ménagé, caressé par tout ce qui était opposition. Au fond, dans cette situation évidemment fausse pour tout le monde, il y avait une fatalité qui emportait hommes et choses : fatalité pour le gouvernement, livré aux chances d’un inconnu redoutable qui pouvait éclater d’une heure à l’autre, fatalité pour le général Trochu lui-même, exposé à devenir sans le vouloir, par nécessité, le premier dans une révolution après avoir été, un instant auparavant, gouverneur de Paris au nom de l’empire, fatalité enfin pour l’opposition menacée d’être jetée au pouvoir par une commotion intérieure devant la défaite et l’invasion. Le résumé de toutes ces fatalités, c’est le 4 septembre, contre-coup irrésistible du désastre de Sedan.

Journée singulière, révolution sans combat, effondrement soudain d’un régime politique sous le poids d’une catastrophe inouïe ! Le soir du 3 septembre, la nouvelle se répand et devient aussitôt le signal de la crise définitive. Dans la nuit, le corps législatif se rassemble sans prendre aucun parti. Le lendemain, toute une population est debout, frémissante, irritée, inquiète, dominée surtout par le sentiment de l’humiliation patriotique et du péril, excitée aussi par les agitateurs prêts à saisir l’occasion, — et on va vers les Tuileries, vers le Palais-Bourbon, où se décidera la question. Avec l’empereur prisonnier, l’empire a évidemment disparu, on le sent ; le ministère lui-même efface son nom dans la proposition qu’il prépare pour suppléer à la vacance du pouvoir, le corps législatif hésite entre la combinaison ministérielle et une simple proposition de déchéance. On a perdu déjà une nuit, on perd encore quelques heures du jour. Pendant ce temps, la foule s’amasse, s’agite autour du Palais-Bourbon. Chose facile à prévoir, la défense, une