Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/24

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

malheureusement il ne se contenta pas de la professer en chrétien, il voulut la réaliser en roi par des décrets impératifs. Il réfuta les objections selon le procédé usité par les théologiens couronnés depuis Constantin ; les quelques églises luthériennes qui ne partagèrent pas ses vues furent persécutées, leurs pasteurs destitués ; on vit un bataillon de grenadiers conduire à sa chaire un prédicateur que repoussait la communauté. Le roi Guillaume III avait composé dans ses loisirs une nouvelle liturgie qui modifiait profondément le culte réformé ; naturellement elle était la meilleure qu’on pût imaginer à ses yeux et à ceux de ses conseillers. Il n’hésita pas à l’imposer à toutes les églises : elle devint une règle obligatoire pour les candidats au saint ministère ; les résistances furent rudement châtiées. Le roi appliquait aussi sans scrupule le fameux principe formulé par Grotius pour la plus grande satisfaction de la tyrannie religieuse : cujus est regio, ejus est religio, la religion du prince est celle du pays. — Triste état que celui où l’on a autant à redouter la piété d’un prince que ses vices, parce que les effusions de sa ferveur se transforment en ordonnances exécutoires sous peine de prison ou d’exil !

Le roi Guillaume III ne fut pas plus tolérant pour le catholicisme. Le pape avait soumis la célébration des mariages mixtes à des conditions qui en faisaient de véritables apostasies du protestantisme. Le gouvernement prussien s’était toujours opposé à ces prétentions, et il avait trouvé un appui dans l’esprit libéral et éclairé de l’archevêque de Cologne, Ferdinand-Auguste de Spiegel. Son successeur, Clément-Auguste, était animé des sentimens les plus contraires ; c’était un fougueux ultramontain. Il n’eut rien de plus pressé que d’exagérer les exigences de Rome et de frapper de condamnations abusives le professeur Hermès, dont la tendance conciliante contribuait à l’apaisement des esprits. Le gouvernement, ayant essayé vainement de le ramener à une conduite plus sage, le fit enfermer dans une forteresse. L’archevêque n’en sortit que sous le règne suivant, mais sans reprendre son siège, qui fut occupé par un coadjuteur. Cependant il gagna sa cause en réalité, car le bref de la cour de Rome sur les mariages mixtes fut appliqué sans résistance dans son diocèse. Il semble qu’un gouvernement qui peut fermer la bouche aux opposans en les jetant sans jugement en prison est suffisamment garanti contre eux. Le gouvernement prussien ne l’a pas pensé : la forteresse est le moyen des grands jours ; parce qu’on peut finir par couper le cou à son adversaire, il ne s’ensuit pas qu’on ne doive le garrotter en attendant. C’est à une législation savante à forger les chaînes qui lui ôteront toute liberté d’action.