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réforme de Luther, car il ne peut réussir dans sa tentative qu’en remplaçant ce qu’il veut briser. Si le vieux-catholicisme, qui s’attaque, au nom des scrupules les plus respectables, à cette même église ultramontaine dont M. de Bismarck a juré la mort, prenait de pareilles proportions, alors vraiment le gouvernement impérial serait le maître de la situation, parce que ses lois auraient pour auxiliaire la passion religieuse, qui est encore la plus grande force morale de l’humanité. Si au contraire le vieux-catholicisme s’arrêtait dans son essor, son importance actuelle ne suffirait pas à contre-balancer les anciennes influences catholiques, et alors tout se que les deux chambres de Berlin voteraient ne serait que de l’huile sur le feu qu’on veut éteindre. Or rien ne serait mieux fait pour en entraver les progrès que la protection ouvertement affichée du pouvoir. Le XIXe siècle n’est pas le XVIe, la faveur de l’état, surtout si elle aboutit à la persécution, porte un coup mortel aux églises qui l’acceptent. L’idée qu’elles défendaient était peut-être grande et vraie ; elle perd tout crédit dès qu’elle devient un instrument de règne ou de despotisme : elle court le risque d’être si profitable à ses adhérens et si dangereuse à ses adversaires qu’elle n’a plus de charme pour les âmes fières, et que l’enthousiasme se glace dans les cœurs généreux.

Il n’en demeure pas moins certain que le parti ultramontain est responsable en bonne partie de la crise qui a éclaté en Allemagne et en Suisse. La compagnie de Jésus, qui a été l’inspiratrice du Syllabus, la promotrice de l’infaillibilité, est en elle-même un danger social. Qu’on la combatte par la discussion et par tout ce qui peut éclairer et enflammer l’opinion publique ; c’est le devoir des publicistes chrétiens. L’erreur commence quand on veut que l’état se charge de la controverse en usant de la contrainte et de la proscription. Il n’a le droit de frapper que des actes attentatoires à sa sûreté et au droit public ; il n’a pas celui de frapper des idées et des tendances, quelque dangereuses qu’elles lui paraissent. Tant que l’idée fausse et dangereuse n’a pas pris corps et ne s’est pas traduite dans un attentat à la paix publique, elle doit demeurer impunie, sinon nous ouvrons la porte à une sorte d’inquisition civile qui ne s’arrêtera nulle part. Tant que la société de Jésus n’a pas prêché ouvertement la révolte, elle doit jouir des bénéfices du droit commun, — si on ne veut pas que la funeste doctrine du salut public remplace toutes les libertés civiles et religieuses. Grâce à des théories semblables et à l’argument du péril, Louis XIV serait justifié d’avoir révoqué l’édit de Nantes ; la minorité protestante mettait en danger la constitution de la société française telle qu’il la concevait. Il s’ensuit que les vieux-catholiques peuvent avoir cent fois raison dans leur polémique contre l’église de l’infaillibilité sans que pour cela le