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qu’il puisse fournir, et que, comme les enfans Spartiates à la vue des ilotes ivres, ils ne soient préservés du mal par les excès mêmes dont ils auront été les témoins. Le mieux pourtant serait de n’exposer personne aux hasards de l’aventure, et, pour nous persuader le bien, de ne recourir ni aux exhortations détournées, ni aux démonstrations par les contraires.

La composition du nouveau musée autoriserait d’autres réserves, elle soulèverait d’autres objections, si tout devait se borner aux cent trente tableaux environ que ce musée contient aujourd’hui. Dans son état actuel en effet, la collection présente à certains égards plus d’une lacune, tandis qu’elle semble çà et là relativement trop abondante. Ni Van Eyck ni Memling ne figurent dans la salle consacrée à l’école flamande, et cependant il eût été plus instructif pour les artistes, plus intéressant pour le public d’y trouver quelque ouvrage de ces peintres, généralement si peu connus en France, que d’y rencontrer le tableau de Rubens, dit le Coup de lance, qui, tout brillant qu’il est, ne nous apprend rien sur le génie et sur la manière du maître. Si l’on a jugé à propos de nous montrer ces honnêtes Officiers du tir de Saint-George, ces dix ou douze compères en appétit groupés par Franz Halz autour d’une table, comment la Ronde de nuit de Rembrandt n’est-elle pas venue, pour compléter la leçon, marquer précisément la distance qui, même dans des sujets de cet ordre, sépare un tableau de la simple transcription du fait et l’imagination poétique de l’habileté toute matérielle ? Pourquoi les deux chefs de l’école allemande, les seuls peintres allemands, à vrai dire, qui avec Holbein méritent le nom de maîtres, pourquoi Martin Schöngauer et Albert Dürer semblent-ils avoir été oubliés ? Enfin d’où vient qu’on ait fait reproduire une fois de plus quelques tableaux depuis longtemps populaires, incessamment réédités sous la forme de copies peintes ou de gravures, tandis qu’on négligeait en apparence tant de peintures monumentales dont le burin n’a retracé tout au plus que l’ordonnance générale et les contours, tant de fresques qui se détériorent d’année en année et qui peut-être auront bientôt disparu, sans que rien survive d’elles et des admirables inspirations qu’elles traduisaient ? Est-ce donc, — pour ne citer que ces exemples parmi les plus grands, — que les œuvres des Giotteschi à Assise, d’Orgagna à Pise, de Jean de Fiesole à Florence, de Luca Signorelli à Orvieto, auraient à nous fournir des enseignement moins élevés, des informations moins neuves que la Pietà d’Annibal Carrache ou le Saint Jérôme du Dominiquin ? Est-ce que, dans l’école vénitienne, il n’eût pas beaucoup mieux valu choisir Jean Bellin que Bonifazio, dont une composition vraiment nulle, le Retour de l’enfant prodigue, laisse le regard du spectateur aussi indifférent que son esprit ?

Nous ne voulons pas insister. Encore une fois, un jugement définitif sur l’organisation du musée des copies ne doit pas être porté dès à présent. Nous croyons savoir même que, dans ces salles peuplées encore un