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d’élection, complète aujourd’hui le cénacle musical du palais Mazarin. Pour les curieux qui seraient bien aises d’apprendre quelque chose des titres de ce nouveau membre, disons que M. François Bazin, professeur au Conservatoire, est l’auteur du Voyage en Chine et de l’Avocat Pathelin, deux vaudevilles dont par le temps qui court l’Opéra-Comique ne voudrait plus, et que leur pente entraînerait vers les Bouffes-Parisiens ou les Folies-Dramatiques. C’est donc, comme on voit, un encouragement officiel donné par l’Institut aux fournisseurs ordinaires de nos petites scènes cascadeuses, et qui ne manquera pas de piquer d’émulation les joyeux auteurs de Madame Angot et de la Veuve du Malabar. Des peintres, des statuaires, des graveurs en taille-douce et en médailles, nomment un musicien ! Pourquoi ? Parce que c’est le règlement, et qu’un règlement ne se discute point. Encore si tous ces hommes d’esprit prenaient au sérieux la besogne, s’ils voulaient bien seulement prêter l’oreille à ce que pense de leurs candidats ce tout le monde qui a plus d’esprit que Voltaire ; mais non, l’opinion publique, personne n’y songe, c’est l’indolence et le scepticisme qui votent : autant celui-là qu’un autre ; si M. François Bazin n’a rien fait qui vaille grand’chose, ceux qui lui disputent le terrain sont-ils plus habiles ? Resterait à s’en informer ; en attendant, on doute et l’on s’abstient, ou plutôt on donne sa voix à l’auteur du Voyage en Chine, ce qui est une manière de s’abstenir. Mieux était de ne pas renoncer au plan qu’on avait eu d’abord de gagner du temps pour choisir un peu plus tard dans les nouveaux groupes qui se forment. Personne, par exemple, ne se récrierait de voir entrer à l’Institut l’auteur de la Jolie fille de Perth, des Pêcheurs de perles et des intermèdes symphoniques de l’Arlésienne. N’y a-t-il pas aussi quelque part un grand ouvrage d’Halévy, Noé, que M. Bizet, dit-on, a très remarquablement terminé et qui devra lui compter comme un titre de plus ? Notez qu’autour de M. Bizet travaille et s’agite une légion d’esprits ayant le goût des fortes études ; M. Saint-Saëns, M. Vaucorbeil, M. Massenet, M. Lalo. Tout ce monde-là grandit en importance et se recommande, qui par l’opéra, qui par la cantate ou le quatuor, qui par la symphonie. Avouons cependant que c’est une bien singulière idée de vouloir traduire l’Évangile en mélodrame ainsi que viennent de faire pour les petits carêmes de l’Odéon le librettiste et le partitionnaire de Marie-Magdeleine.

Entre diverses aptitudes, M. Jules Massenet possède celle de s’entendre merveilleusement à pasticher tous les styles ; comme les apôtres du Nouveau testament, ce jeune musicien de l’avenir a le don des langues, et, lorsqu’il s’agit d’évangéliser son public, il ne lui en coûte pas plus d’emprunter à Bach sa manière que de prendre ses formules à Donizetti. Cette fois, un peu d’archaïsme étant de rigueur, nous avons eu affaire au style des vieux maîtres que l’auteur manie, il faut le dire, avec une dextérité charmante. C’est curieux, plein d’intérêt, c’est surtout très amusant. Les ingénieux metteurs en œuvre ont jugé