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voix sourde, inexorable, qui du fond de la conscience humaine et depuis des milliers d’années interroge toujours sans que jamais ses questions soient entendues. Immédiatement après, l’allegro et son scherzo nous emportent dans leur tourbillon : ivresse du désespoir, appel ironique à l’oubli, dernier paroxysme de la souffrance qui se tord dans un éclat de rire infernal ! Qu’on se souvienne de certaines poésies de Byron, de certains transports frénétiques du roi Lear et du prince Hamlet ! Cependant peu à peu l’apaisement se fait, les cloches de Pâques rappellent Faust au sentiment de l’existence. « O terre, tu m’as reconquis ! » Avec les larmes renaît l’émotion religieuse.

Espoir, consolation en Dieu, tel est le motif de cet adagio sublime. La coupole des cieux s’entr’ouvre, tous les anges raphaélesques et pré-raphaélesques sont à leur poste, adorant la Vierge à l’enfant divin et musiquant à perte d’ouïe et de vue ; puis insensiblement l’éclat décroît, la phrase, tantôt si radieuse, éteint ses flammes, des secrets abîmes de la conscience remontent l’angoisse et le doute ; dois-je interpréter autrement ces triolets des altos et des violons et ces pulsations intermittentes des timbales ? Le finale commence également par un retour d’humeur sombre, l’âme est à bout de ses ressources. Amour, foi, espérance, elle a tout épuisé ; son ironie même l’abandonne ; pour vous mettre plus intimement dans la confidence de cet état psychologique, Beethoven évoque en réminiscences fugitives les principaux motifs de sa partition : motif du premier allegro, de l’adagio, du scherzo. Et maintenant comment sortira-t-il du labyrinthe dans lequel il s’est fourvoyé, sinon par un de ces coups de tête à la manière d’Alexandre, sinon, en tranchant le nœud gordien ? Soudain il coupe la parole à l’orchestre, déchaîne les masses chorales, et leur appoint l’aide à se tirer de ce problème dont l’orchestre lui refuse la solution. « Ce gaillard-là pour plaire à sa maîtresse, tirerait la lune et les étoiles en feu d’artifice ! » Ainsi procède le maître pour finir. Ceux qui cherchent ailleurs le mot de l’énigme s’abusent. Il y a de ces œuvres qu’on termine par un coup de théâtre imprévu, arbitraire, parce qu’elles ne sauraient avoir de denoûment naturel :

Hamlet tuera Claudius, Abner tuera Mathan.

Le chœur ici n’a point d’autre raison d’être, il est le décor final, l’apothéose, il est la solution in extremis, c’est-à-dire un effet qui n’a rien de la théorie ni du système et qui néanmoins peut être sublime, mais sublime alors parce qu’il est absurde : quia absurdam. Ne nous y trompons pas, l’art a ses lois que nul impunément ne transgresse. La symphonie est une forme, la cantate en est une autre, et contre cela le génie même d’un Beethoven ne saurait prévaloir.

L’Institut a trouvé bon de ne point surseoir davantage à la nomination du successeur de Carafa. C’est M. François Bazin qui, par droit