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REVUE MUSICALE

Lorsqu’il arrive aux Huguenots de rester six mois en dehors du répertoire, le public ne se console pas de leur absence ; il faut qu’ils reparaissent sur l’affiche, et cela s’appelle une reprise. Si d’aventure un sujet nouveau se présente, on s’en réjouit ; sinon l’ancienne distribution revient sur l’eau, et tout est pour le mieux, puisqu’on retrouve cette admirable partition qui, somme toute, est l’opéra du siècle. Les Allemands n’admettront jamais cette vérité-là. « Plus d’honneur que d’honneurs, » dit une devise fameuse ; « plus de styles que de style ! » répètent-ils à propos de Meyerbeer, et c’est assez pour qu’ils lui refusent un rang parmi leurs classiques. Ainsi le Freyschütz, Tannhäuser, et jusqu’à la Geneviève de Schumann, sont des œuvres classiques, mais les Huguenots, point ! Je sais bien ce qu’on leur reproche, et Meyerbeer le savait également, lui, si clairvoyant critique en ses propres affaires, et qui se rendait un si juste compte de ses faiblesses !

Obéir aux leçons du plus grand art et en même temps caresser le succès, deux choses inconciliables, dit-on. — Raphaël et Mozart cependant ont fait cela. — Oui, certes, mais avec une absolue inconscience et sans jamais se départir d’une profonde et sincère fidélité aux vrais principes, tandis que Meyerbeer avait toujours son but devant les yeux : employer tous les moyens, tous les raffinemens, s’aider à la fois de son poète, de son maître de ballets et de son machiniste, qu’il gouverne et manœuvre à sa guise, les poussant vers une foule d’inventions scéniques, d’accessoires décoratifs et de trucs. Assurément le génie, tel que notre raison aime à se le représenter d’après les habitans du ciel d’Homère, le génie a moins de ces préoccupations secondaires, sa dignité quelque peu farouche répugne à de pareils escamotages, il reste lui, et ne se commet pas, — et pourtant nous ne voyons guère que la part de spéculation qui entre évidemment dans la composition des Huguenots soit de nature à beaucoup affecter l’individualité du chef-d’œuvre. Quelle puissance de concentration et quelle force de volonté ! Est-ce bien l’œuvre d’un classique ? En vérité, je l’ignore ; mais ce que je sais à n’en pas douter, c’est