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Autriche ; elle se mit à la tête des intrigues qui poussaient son mari à la résistance, et invoqua, comme Henriette, la protection de l’étranger. Façonnée aux habitudes bourgeoises de la cour de Vienne, elle blessa la noblesse de Versailles par le sans-façon de ses manières. « Ici, dit-elle dans une de ses lettres, les assujettissemens sont innombrables, comme si la simplicité était un crime. » Elle avait raison, mais elle ne voyait pas que ces assujettissemens contre lesquels elle protestait donnaient seuls de l’importance aux princes dont l’étiquette faisait la grandeur et aux parasites qui en vivaient, au grand chambellan qui posait la carafe d’eau sur la table royale, à l’officier du gobelet qui rinçait le verre du roi, au premier prince du sang qui présentait la serviette ou la chemise, aux gentilshommes de la garde-robe, conservateurs des cravates et des boutons de diamant, aux dames qui se disputaient l’honneur de bercer les enfans de France pour obtenir le titre de remueuses de princes. Tout en repoussant l’étiquette, elle affichait pour la parure un goût effréné ; elle en faisait son occupation principale, et l’on disait d’elle ce que les Parisiens du XVe siècle disaient d’Agnès Sorel, qu’elle ensorcelait le souverain sexe. « Toutes les femmes, dit Mme Campan dans ses Mémoires, voulaient naturellement l’imiter. Les mères et les maris en murmurèrent, et le bruit général fut qu’elle ruinerait les dames françaises. » La ténébreuse affaire du collier, l’acquisition de Saint-Cloud, qui fut payé 6 millions par de Calonne au moment où le trésor ne se remplissait que par des emprunts onéreux, surexcitèrent encore le mécontentement.

On se souvenait du programme tracé par Louis XVI à son avènement : « point d’augmentation d’impôts, point d’emprunts, point de banqueroute, » et, comme on voyait chaque jour les faits en contradiction avec les promesses, on accusait la reine de mettre obstacle aux économies et de provoquer les dilapidations ; mais, complice inconsciente de la catastrophe où elle laissa sa vie, elle ne soupçonnait rien des dangers et des pièges qui l’environnaient. Elle ne poussait pas aux mesures violentes, comme Madame Elisabeth, qui croyait que le seul moyen de sauver la monarchie c’était de faire tomber trois têtes ; cependant elle s’opposait aux réformes les plus indispensables, et tandis que le parti de la révolution l’accusait du maintien des abus, sa famille conspirait contre elle. Madame Adélaïde ne la désignait dans l’intimité que sous le nom de l’Autrichienne, et ce nom, tombé des petits appartemens de Versailles dans les clubs, fut ramassé par les sans-culottes et les tricoteuses. Le comte de Provence, depuis Louis XVIII, devenu chef de la branche cadette, se mit à la tête d’une basse intrigue pour la perdre en la déshonorant. Au baptême de Madame Royale, dont il était le