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Elle veut que son fils apprenne aux grands qu’ils ne sont quelque chose que par lui, aux petits qu’ils n’existent que par son bon plaisir. Elle veut qu’il donne des fêtes et surtout des places, car c’est là dit-elle, le plus sûr moyen de se faire aimer des Français[1], et dans ce manuel d’éducation royale elle fonde la science du gouvernement sur l’exploitation des bassesses et des faiblesses humaines. Les catholiques, aveuglés par les passions religieuses, l’avaient proclamée, au moment des massacres, la plus grande et la plus sainte des femmes ; mais sous le règne de Henri III ils reportèrent sur elle une partie de la haine et du mépris qu’ils avaient voués à ce prince. Bien qu’elle eût désapprouvé le meurtre des Guises, parce qu’il lui paraissait compromettant et inopportun, l’opinion publique l’accusa de complicité, parce qu’il était naturel de penser que la femme qui avait fait tuer d’un seul coup des milliers d’hommes, pouvait sans scrupule en faire tuer deux. Abandonnée de tous, et ne prévoyant que trop les conséquences de l’attentat du château de Blois, elle mourut de langueur et de tristesse, et, suivant le mot d’un contemporain, le peuple ne s’inquiéta pas plus de sa mort que de la mort d’une chèvre.

Étrangère comme Catherine, sortie de la même famille et comme elle compatriote de Machiavel, Marie de Médicis, après la mort de Henri IV, ne mit que trop bien en pratique les maximes de la fille du Florentin Laurent. A force de donner des fêtes, elle dévora en moins de trois ans les 40 millions mis à l’épargne par Sully et força ce grand ministre à s’éloigner des affaires publiques, parce qu’il avait refusé de lui délivrer un mandat de 900,000 livres, dont elle avait du reste le plus grand besoin, car ses folles prodigalités l’avaient réduite à un tel état de dénûment qu’elle s’était vue dans la nécessité de renvoyer une partie de sa maison et de diminuer de moitié le nombre des plats servis sur sa table. Entraînée par ses prédilections nationales, elle livra la fortune du pays à un aventurier audacieux et cupide, Concini, maréchal d’Ancre, qui put voler impunément, grâce à son appui, 4 millions dans le trésor public et lever une petite armée pour son compte. Fille d’une archiduchesse d’Autriche, elle renversa, dans l’intérêt de la maison dont elle était issue, la politique du précédent règne ; elle provoqua par sa dureté, son favoritisme, ses dilapidations, ses tendances anti-françaises, une ligue des huguenots et des catholiques, de la noblesse et du tiers-état, et l’anarchie où elle avait jeté le royaume était si profonde qu’on vit un fils donner à son favori, de Luynes, l’autorisation de tuer le favori de sa mère, Concini, une mère

  1. Les instructions de Catherine sont reproduites dans la collection Leber, t. V, p. 253.