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que Protadius et Landry s’étaient acquise dans l’état par une intrigue galante avait donné à leur charge un caractère de puissance tout nouveau, et les leudes surent habilement en profiter dans l’intérêt de la politique qui devait leur livrer la tutelle des rois fainéans[1].

Si profonde que fût la barbarie mérovingienne, quelques nobles et saintes figures s’y détachent cependant encore sur le fond ténébreux du passé, et de même que Frédégonde et Brunehaut personnifient la cruauté et la ruse, qui sont le caractère distinctif de la royauté franque, de même Clotilde, Bathilde, Ingoberge, Radegonde, personnifient les vertus de la femme chrétienne. « Clotilde, dit Grégoire de Tours, se montra si grande qu’elle fut honorée de tous. Zélée pour les aumônes, assidue aux veilles pieuses, elle fut toujours pure et chaste ;… elle donna d’un cœur large et empressé, et de son temps on la regardait, non comme une reine, mais comme la servante du Seigneur. » Bathilde, d’abord simple esclave saxonne, consacra sa grandeur par un immense bienfait en allégeant, les charges du fisc qui forçaient les tributaires à vendre leurs enfans. Investie de la régence pendant la minorité de son fils, Clotaire III, elle gouverna sagement, et finit ses jours dans l’abbaye de Chelles, en emportant, comme le disent les hagiographes, les regrets des pauvres, des veuves et des orphelins, qu’elle n’avait jamais cessé de défendre contre les violences des grands. Ingoberge, avant de mourir, donna aux serfs de ses domaines des lettres d’affranchissement, et commença ainsi par l’octroi de la liberté individuelle l’œuvre d’émancipation collective qui devait aboutir à l’institution des communes. Radegonde, qui mettait le souverain bien des peuples dans la paix, travailla par ses lettres, ses conseils et son intervention à maintenir la concorde entre les évêques, les grands et les rois, et, quand elle eut reconnu l’inutilité de ses efforts et son impuissance à dominer l’anarchie, elle s’exila volontairement du palais de Clotaire, son époux, se retira à Poitiers, dans le monastère de Sainte-Croix, et transforma cette pieuse retraite en une sorte d’académie

  1. La singulière fortune des maires du palais, qui appartenaient d’abord à la domesticité royale, et dont la vie dans les compositions pénales était estimée à 35 sous, comme celle des forgerons et des porchers, a donné lieu à de nombreux travaux ; on s’est étonné de cette fortune, de la domination des sujets sur les rois, et l’on a cherché les causes de ce fait étrange dans l’incapacité des Mérovingiens, l’anarchie sociale, l’esprit d’indépendance de la noblesse franque, l’hostilité de la Neustrie et de l’Austrasie ; mais on a oublié celle que nous indiquons ici, et qui nous parait marquer d’une manière précise le point de départ de l’ingérence des maires dans la politique. On trouvera dans un livre fort curieux, publié en Belgique et trop peu connu en France ; l’Histoire des Carolingiens, par MM. Warnkœnig et Guérard, un résumé des opinions émises par les savans allemands, tels que MM. Pertz, Luders, Waitz, Zinkeisen, Bonnell, Schœn, Léo et Zœpft, qui se sont particulièrement occupés de la question.