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l’excommunication. Le légat répondit que cette absolution ne pouvait être accordée qu’à Rome. Cependant, au milieu des fêtes qui furent données à Mayence pour le couronnement d’Henri V, le prisonnier royal trouva le moyen de s’évader. Il restait au malheureux père l’affection d’une fille, la veuve de Frédéric de Hohenstaufen ; l’influence du légat la détacha aussi de la cause impériale.

Henri IV, parvenu jusqu’à Liège, y retrouva des amis fidèles, dans l’évêque de cette ville, Otbert, et dans le duc de la Basse-Lorraine. Il écrivit au comte de Poitiers, son proche parent, et à Henri Ier, roi d’Angleterre, pour réclamer leur assistance, et il adressa au roi de France, Philippe Ier, une longue et lamentable lettre dont nous avons le texte[1], où il exposait avec un accent déchirant ses cruelles infortunes. Cette lettre a été connue des contemporains ; Sigebert de Gembloux en parle en sa chronique, et l’honnête abbé Suger atteste les sentimens sympathiques avec lesquels la cause de Henri IV fut accueillie en France[2]. M. Villemain a traduit à la fin de son livre cette lettre, qu’on ne saurait lire encore aujourd’hui sans une profonde émotion ; mais tous ces appels du désespoir furent inutiles : l’ombre redoutable de Grégoire VII terrifiait les puissances de la terre. Henri IV voulut mourir les armes à la main ; à la tête d’une troupe dévouée, il se disposait à marcher vers l’armée de son fils. La ville de Cologne se déclarait pour lui, et la cause du père infortuné paraissait se relever, lorsqu’après une maladie de quelques jours, qu’on soupçonna l’effet du poison, Henri IV mourut à Liège le 7 août 1106, à l’âge de soixante-six ans. Ses malheurs n’étaient point terminés. Le fidèle évêque Otbert avait fait religieusement enterrer l’empereur dans sa cathédrale ; mais le légat pontifical força l’évêque à faire exhumer le cadavre de l’excommunié et à le faire déposer dans une île de la Meuse, jusqu’à ce que le pape eût levé l’excommunication. Un pieux pèlerin, revenant de Jérusalem, suivit le corps de son prince dans cet endroit solitaire, et passa bien des jours et des nuits en prière auprès du cercueil abandonné, jusqu’à ce que Henri V en eut ordonné le transport à Spire, où ces déplorables restes demeurèrent encore cinq ans déposés dans un lieu non consacré. Enfin

  1. Dans la collection d’Urstitius. Son authenticité ne paraît pas douteuse. Voyez Mascov, p ; 134, et l’Annal, saxo, p. 512, Eccard. On peut voir aussi dans le tome II des Leges de Pertz, p. 63, un curieux fragment du manifeste d’Henri V lui-même, a la date de janvier 1106. Cf. Pfeffel, t. 1er, p. 248 (1777).
  2. Voici le texte de Suger (Vie de Louis le Gros) : « Henricus V vir affectus paterni et totius humanitatis expers, qui et genitorem Henricum crudelissime persecutus exheredavit, et ut ferebatur nequissima captione terrens, inimicorum verberibus et injuriis, ut insignia regalia, videlicet coronam, sceptrum et lanceam sancti Mauritn reddcret, nec aliquid in toto regno proprium retineret, impiissime coegit. »