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qui du reste l’approuva en déliant le fils rebelle du serment qu’il avait prêté à son père[1]. Un excommunié, un relaps était à cette époque un être à qui tout droit, même celui de la nature, était refusé, et envers lequel non-seulement personne n’était plus tenu d’aucun devoir, d’aucun égard, mais auquel tout devoir, tout égard devait être refusé. L’excommunié n’inspirait plus que de l’horreur[2]. Henri en éprouva les tristes effets au milieu d’un peuple et d’une famille que le sentiment catholique ultramontain avait complètement détachés de lui[3]. L’auteur contemporain et très lettré de la Vita Henrici IV nous a transmis à ce sujet les plus poignans détails. Aucun sentiment de pitié ne se manifeste pour Henri dans les chroniques des couvens. Par exemple dans celle de Spire, la ville franconienne par excellence, voici tout ce qu’on lit : Rebellionem ab eo sensit (imperator) propter excommunicationes romanorum pontificum, sub specie religionis regno miserabililer diviso[4].

Ce jeune prince paraît avoir été séduit par une ambition prématurée et par la crainte d’être privé de son droit de succession, s’il restait attaché à son père excommunié. C’est la version générale des chroniques de l’époque. Déjà maître dans l’art de feindre, il opposa peu de résistance aux provocations. Les Bavarois, excités par lui, prirent les armes, et les Saxons suivirent leur exemple. Le 3 mai 1105, le jeune hypocrite, en versant des larmes, déclara devant le synode réuni à Nordhausen que son âme ne s’était point inspirée par l’ambition, et que son unique motif était de forcer son père à rentrer dans la communion de l’église. L’assemblée fut émue par ces accens, qu’on voudrait croire sincères sans les absoudre pour cela ; les armées du père et du fils se rencontrèrent près de Ratisbonne, et tous les vassaux du père abandonnèrent leur souverain, qui fut obligé de se retirer précipitamment pour ne pas tomber aux mains de ses ennemis. La monarchie d’Henri IV

  1. Le témoignage non suspect de l’Annalista saxo ne permet pas d’en douter. Il est corroboré par celui d’Ekkehard, ou l’abbé d’Ursperg, et d’autres contemporains. Voyez Mascov, p. 130.
  2. Voyez dans le Grégoire VII de M. Langeron le tableau éloquent des mœurs et des idées du moyen âge sur ce point.
  3. Voyez l’auteur de la Vita Henrici IV, dans Freher-Struve, t. Ier.
  4. Dans Pertz, p. 81 du tome XVII. Il faut lire sur cet événement l’honnête et grave Fleury, loc. cit., LXV, 37, et l’Art de vérifier les dates, t. Ier et t. II, aux Papes et aux Empereurs.