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tous ces crimes, il n’a plus aucune puissance sur nous qui sommes catholiques ; nous ne le comptons plus entre les chrétiens nos frères, et nous le haïssons de cette haine parfaite dont le psalmiste haïssait les ennemis de Dieu. Quant à ce que vous dites que le pape Grégoire, le roi Rodolphe et le marquis Ekbert sont morts misérablement, et aux félicitations que vous adressez à votre maître de leur avoir survécu, vous devez aussi estimer heureux Néron d’avoir survécu à saint Pierre et à saint Paul, Hérode à saint Jacques et Pilate à Jésus-Christ[1]. »

Au ton de cette lettre, on peut juger de la disposition des esprits. Waltram composa un nouvel ouvrage plus approfondi, plus réfléchi, qui est parvenu jusqu’à nous, et qu’il intitula : de Unitate ecclesiæ conservanda, mais l’entraînement populaire et L’irritation des partis ne furent point arrêtés par cet écrit important, auquel il faut reconnaître au moins le langage de la modération, et qu’on peut lire dans la collection de Freher. La destinée était fatale à l’empereur Henri. Le ciel et la terre semblaient conjurés contre lui. Le mouvement monastique et celui des croisades entraînaient le monde occidental. Les évêques schismatiques revenaient un à un au saint-siège. Les souverains n’osaient se prononcer contre le pape, bien satisfaits de n’en pas être attaqués, et la papauté, laissant à l’écart les plaintes qu’elle pouvait adresser aux rois d’Angleterre et de France, concentrait sur Henri IV toutes ses colères, toutes ses poursuites, toutes ses vengeances, appuyée sur la foi populaire et sur l’empire des consciences. Dans le monde laïque, les affiliations avec les couvens devenaient générales et préparaient le triomphe définitif de l’église romaine[2]. Il se produisait une sorte de socialisme catholique dans lequel se réfugièrent des masses nombreuses de population ; c’est un des caractères de ce temps[3]. Depuis l’époque primitive où, pour se soustraire à l’oppression de la société païenne, on avait vu accourir des milliers de chrétiens dans les solitudes de la Thébaïde, le monde n’avaitplus été témoin d’une semblable aspiration religieuse, dont les plus nobles personnages donnaient l’exemple et montraient la pratique[4], car il ne faut pas confondre les

  1. Voyez le texte de ces deux lettres dans la collection de Freher-Struve, t. Ier, p. 235 et suiv. ; — Fleury en a seulement donné une analyse fidèle, Hist. ecclés., liv. LXIII, § 52. — Voyez aussi Pertz, Annal. Disibod., sub anno 1090.
  2. Voyez Fleury, loc. cit., § 57 et suiv., et Berthold de Constance, ad anno 1091.
  3. « His temporibus, dit Berthold de Constance, in regno Teutonicorum communis vita multis in locis floruit, non solum in clericis et monachis, verum etiam in laïcis, religiosissime commorantibus, se suaque ad eamdem communem vitam devotissime offerentibus : qui et si habitu nec clerici nec monachi viderentur, nequaquam tamen eis dispares mentis fuisse credantur. »
  4. « In his itaque monasteriis, dit encore Berthold de Constance, nec Ipsa exteriora officia per seculares, sed per religiosos fratres administrantur, et quanto nobiliores in seculo tanto se contemptibilioribus officiis occupari desiderant, ut qui quondam erant comites et marchiones in seculo, nunc in coquina et pistrino et porcos pascere pro summis computent deliciis. »