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appelé auparavant Odon, évêque d’Ostie, était l’un des candidats que Grégoire VII avait désignés pour lui succéder, et Victor III l’avait recommandé lui-même. Il fut élu à Terracine, le 12 mars 1088, sous la protection des Normands. Champenois d’origine, né à Reims selon les uns, à Châtillon-sur-Marne selon les autres, il était fils d’un châtelain de la contrée, et fut d’abord chanoine, puis moine à Cluny. Grégoire VII l’avait-il connu à Cluny même ? C’est ce qu’on ignore. Ce qui est assuré, c’est qu’il l’avait mandé à Rome dès l’an 1078, qu’il le fit évêque d’Ostie et le plaça dans son conseil. Il avait donc l’exacte tradition de toutes les pensées de Grégoire VII, sur les traces duquel il se fit gloire de marcher. Il aurait dû choisir un meilleur modèle, disent les bons bénédictins de 1783. La Providence lui réservait à peu près la même durée de pontificat qu’au moine Hildebrand, mais il eut en mourant à Rome, et non en exil, la satisfaction d’avoir accompli l’œuvre de réforme et de rénovation entreprise par son prédécesseur, sur lequel il avait l’avantage des formes extérieures[1]. Très résolu dans la poursuite du but, il renouvela tous les décrets de Grégoire VII, et, tout aussi inexorable pour le fond, il se montra moins impérieux et moins irritable dans la forme, plus indulgent surtout pour les personnes, réservant une intraitable rigueur pour les deux grands suppôts du schisme, l’empereur Henri IV et l’antipape Clément III, qui tenaient toujours Rome et la Haute-Italie sous leur loi. Tous les actes d’Urbain II visèrent ces deux personnages, qu’il isola peu à peu de leurs adhérens, ouvrant les bras à quiconque venait à lui, se montrant facile à recevoir en grâce les subalternes[2], et rarement inflexible envers les gens compromis, sachant bien qu’on avait soif de pacification. Quant à la direction supérieure des affaires, il fit emploi de tous les moyens, les grands comme les petits, les meilleurs comme les pires. Il paraît bien avoir partagé l’opinion de Hugues de Lyon sur Victor III, mais il fut plus circonspect, et assoupit cette affaire aussitôt qu’il fut le maître, ce qui lui rallia le clergé gallican. Politique aussi profond que Grégoire VII, il fit des moines son corps d’armée, raviva, réchauffa le penchant des esprits pour le cloître, fonda de nouveaux ordres, provoqua les réformes monastiques, et ouvrit un immense dérivatif à la lutte du sacerdoce et de l’empire en engageant l’Europe dans le grand

  1. « Hic erat natione Gallus, dit Orderic Vital (dans Duchesne, Script, rer. normann., p. 677), nobilitate et mansuetudine clarus, civis remensis, monachus cluniacensis, ætate mediocris, corpore magnus, modestia discretus, religions maximus, sapientia et eloquentia præcipuus. » Voyez les biographies contemporaines recueillies par Watterich, loc. cit., I, p. 571.
  2. Voyez Bernold, le continuateur d’Hermann le Contract, en sa chronique sur l’an 1088, dans Pertz, V, p. 385-467, et Watterich, loc. cit., p. 579.