Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

institutions qu’on laissait vivre ne pût être augmentée sans la permission du gouvernement. Or l’église catholique nie que sa liberté soit respectée, si le droit de posséder ne lui est pas reconnu sans limite. Quant aux associations religieuses, le comte de Cavour les laissait aussi libres que toute autre association laïque ; mais il ne voulait reconnaître à aucune d’elles la personnalité juridique pour les empêcher d’acquérir les droits économiques qui appartiennent par la loi civile aux corporations. L’église répond que la liberté de vivre ensemble dans un intérêt religieux ne peut être restreinte par l’état sans tyrannie, et que refuser à l’association la personnalité juridique complète, c’est l’obliger à subsister par des moyens furtifs, par des expédiens dangereux, et lui ôter tout moyen de réaliser l’idéal moral et juridique de l’ordre religieux tel que l’entend le catholicisme.

Ces observations suffiront à prouver que les idées du comte de Cavour n’étaient pas assez mûres, car dans la solution qu’il proposait aucune des antithèses actuelles entre l’église et l’état n’était évitée, et l’église n’aurait pu accepter que par force la liberté qu’il voulait lui octroyer. D’ailleurs ces antithèses très réelles prouvent à elles seules de quelles épines est hérissée cette phrase si séduisante au premier abord : séparation de l’église et de l’état. Il faudrait que l’église catholique eût subi un profond changement de direction et d’idées avant de s’accommoder de bon gré d’une juridiction sans pouvoir de contrainte, d’une propriété sans possibilité d’accroissement progressif, d’une organisation réduite à une association sans fixité, de l’élection populaire enfin appliquée aux dignités spirituelles.

Le problème n’avait pas été étudié pendant les dix ans qui s’étaient écoulés avant que les Italiens entrassent à Rome ; en 1870, il n’était pas plus avancé qu’en 1860 ; on ne savait pas mieux comment s’y prendre pour organiser cette liberté complète, mais circonscrite, de l’église vis-à-vis de la liberté de l’état, qui conservait la sienne en la limitant lui-même. Pourtant la loi de 1866 avait porté dans l’existence des corporations religieuses cette altération profonde que le comte de Cavour avait indiquée, et d’une manière bien plus radicale que dans sa pensée, car elle refusait à toute association religieuse la personnalité juridique et la reconnaissance légale, quelque but qu’elle se proposât, quelque cachée qu’elle fût, si je puis m’exprimer ainsi, derrière un but charitable ou d’éducation ; mais en même temps la liberté de l’association religieuse était sauvegardée. Une année plus tard, la loi de 1867 ajouta que dorénavant on ne reconnaîtrait de caractère juridique et civil qu’aux évêchés, aux cures, à douze bénéfices canonicaux dans chaque église