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tous les esprits raisonnables, qui forment à la longue l’opinion publique, auraient fini par s’en convaincre. C’est le point de vue de M. Gladstone dans sa conduite envers l’église irlandaise. Aussi le grand homme d’état italien, s’il a ressemblé au prince de Bismarck par le but national qu’il s’était proposé, est bien plus comparable à M. Gladstone par le libéralisme de son esprit.

L’église libre dans l’état libre, voilà le mot, on le sait assez, par lequel le comte de Cavour pensait résoudre un des problèmes les plus complexes de la société moderne, écarter la plus grande difficulté d’organisation de son propre pays. Pourtant l’idée exprimée par cette devise n’est pas aussi claire qu’on le croirait au premier abord. En y regardant de près, le mot libre, qui y est répété deux fois, y prend chaque fois un sens différent. L’état n’est pas libre dans le même sens que l’église est libre. Celle-ci est libre lorsqu’on lui permet de s’organiser à sa guise, sans aucune intervention du pouvoir civil, et que les lois n’ont rien qui heurte ses principes ou qui entrave son action. Au contraire l’état n’est libre qu’à la condition de laisser à l’initiative des citoyens une part plus ou moins grande dans son organisation et dans sa direction, et d’abandonner à leur vote la constitution du pouvoir législatif ou même de l’exécutif. L’état en somme n’est libre que jusqu’au point où l’esprit du pays le pénètre ; l’église se prétend libre seulement si le génie de ses institutions particulières peut s’affirmer et se développer à son gré. Or, qu’on songe à une église aussi autoritaire que l’église catholique, à une église qui n’a connu d’autre progrès que celui de l’influence toujours croissante que son chef a conquise sur la hiérarchie sacerdotale et sur le peuple des fidèles, et on conviendra que le mot de liberté, lorsqu’il s’agit des relations d’une telle église avec l’état, devient d’une application extrêmement difficile. En effet, cette église n’est libre qu’à la condition d’interdire toute action sur elle à ces forces, à ces influences laïques qui, en participant à la direction du gouvernement, font que l’état peut s’appeler véritablement libre. Dans l’église catholique sont obligés au silence tous ceux qui ne sont pas d’accord avec son chef, et cet accord y est le seul moyen de gagner le salut éternel et le repos ici-bas ; dans l’état libre au contraire, tout le monde a le droit de parler et de faire prévaloir son opinion envers tous et contre tous, s’il en a le pouvoir. L’église ne reste libre que tant que l’état s’abstient de revendiquer certains droits ou de s’occuper de certaines matières ; l’état au contraire a perdu sa liberté, s’il n’est plus le maître de fixer lui-même sa compétence et de régler sa conduite comme l’exige la volonté du peuple.

Les instructions que le comte de Cavour donnait à ses négociateurs en 1860 montrent assez, je l’ai déjà dit, qu’il sentait vivement