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premier et le fondement de tous ses droits. A son avis, ce n’est pas une concession qu’on lui fait lorsqu’on la lui laisse ; c’est une iniquité que l’on commet quand on la lui refuse ou qu’on essaie de la limiter. Ce serait un abus de force, ce ne serait pas un droit qui s’opposerait au sien ; son droit à elle est absolu. La liberté lui vient de Dieu ; elle ne peut pas, elle ne veut pas l’accepter de la main des hommes. Elle est libre, absolument libre, parce qu’il n’y a pas une puissance ou une intelligence au monde qui soit à même de la juger ou qui puisse légitimement se croire autorisée à la juger. Le pouvoir temporel appartient à l’église tout aussi bien que la liberté la plus complète ; lui enlever l’un, lui rétrécir l’autre, c’est la voler. Le contrat par lequel elle échangerait l’un contre l’autre ne serait pas plus moral ni plus sérieux à ses yeux que celui qu’un chef de brigands ferait avec un voyageur garrotté par sa bande, de lui laisser sa montre à la condition qu’il voulût bien livrer sa bourse.

Aussi, chaque fois qu’on a essayé, de 1860 à 1872, de trouver un point d’accord entre le gouvernement italien et la curie romaine, on n’y a pas réussi. Le non possumus de celle-ci avait beaucoup plus de portée qu’on ne pense communément. L’empereur Napoléon, qui se flattait de pouvoir surmonter la difficulté en obtenant du gouvernement italien qu’il voulût renoncer à Rome et à sa banlieue, se trompait fort. La cour pontificale a exprimé plusieurs fois ouvertement sa résolution inébranlable de n’écouter aucune proposition avant qu’on lui rendît tous ses anciens états tels qu’elle les possédait en 1859 ; elle n’aurait pas admis d’autre base de négociation, et il n’y a pas de compensation spirituelle qui l’eût fait démordre d’une pareille prétention. La raison en est bien simple, et je la répéterai telle que je l’ai recueillie de la bouche du cardinal Antonelli dans une conversation qui eut lieu quelques jours après la brèche de la Porta Pia. « L’église, m’a-t-il dit, n’a que le droit pour elle ; il n’y a pas de milieu entre le respect et la violation du droit. Si elle paraissait y renoncer en partie, ce serait comme si elle abandonnait le tout ; ce serait comme si elle-même arrivait à n’y plus croire. »

C’est à quoi on devrait songer en France lorsqu’on y reproche au gouvernement italien d’avoir saisi l’occasion de s’installer à Rome dans un moment où les armes françaises n’étaient pas à même de l’en empêcher. Ce n’est pas ainsi qu’il faut comprendre la politique italienne en septembre 1870. La convention de 1864, par laquelle le gouvernement italien s’était engagé à ne pas entrer lui-même avec son armée et à ne pas laisser entrer des volontaires sur le territoire romain, n’avait pas été rétablie après l’équipée de Garibaldi qui amena le retour des soldats français à Rome et la malheureuse échauffourée de Mentana. Au commencement de la guerre avec la