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profit. Alors le concile ultramontain n’aurait que trop bien réussi : il aurait imposé ses maximes à ses adversaires, et il triompherait jusque sous leurs coups. Ce serait en vérité un beau résultat de cette crise formidable que de voir l’état laïque et protestant répéter à sa manière le Syllabus et surtout l’appliquer dans sa pensée dominante, qui est la contrainte religieuse. Voilà pourtant ce dont nous sommes menacés dans cette dernière moitié du XIXe siècle, qui semblait devoir réaliser tant de glorieuses promesses d’affranchissement universel !

Ce qu’il y a de plus grave, c’est que l’opinion s’égare même dans des pays qui, comme l’Angleterre, sont la terre classique de la liberté religieuse. La politique religieuse de l’empire allemand y reçoit des félicitations que nous nous permettons de trouver scandaleuses. Nous savons que le parlement anglais ne laisserait pas mettre en discussion une seule des lois proposées à Berlin ; mais il ne faudrait pas approuver ce que l’on ne voudrait pas faire. Il faut plus que jamais nous élever au-dessus des passions sectaires et nous dire que la persécution qui frappe notre adversaire religieux frappe ce qui est notre bien commun et notre seule garantie dans la lutte des idées et des croyances, je veux dire la liberté de la conscience. Il est donc d’un haut intérêt de suivre d’un œil attentif la lutte engagée en Prusse contre le catholicisme avec une audace qui s’avoue sans détour. Il importe d’en rechercher les causes, d’en mesurer l’effet au parlement et dans le pays et d’en saisir le véritable esprit. On reconnaîtra à quel point les deux adversaires qui sont aux prises s’entendent tout en se combattant, — avec cette différence que l’ultramontanisme remplit son vrai rôle en proscrivant des tendances et des idées, tandis que le protestantisme se ment à lui-même dès qu’il devient persécuteur : aussi mérite-t-il d’être deux fois flétri lorsqu’il se livre à cette coupable inconséquence.


I

Au lendemain d’Austerlitz, Napoléon se rappela qu’il avait une querelle avec Pie VII au sujet du concordat italien, que le pape hésitait à conclure. Il était dans le premier enivrement de son triomphe, ses ennemis étaient brisés ; seul, un vieillard qui n’avait ni trésor ni armée se permettait de lui résister. C’était un scandale intolérable ; l’empereur prit la peine d’écrire au saint-père de sa main victorieuse une lettre foudroyante qui n’était qu’une longue insulte. Il inaugurait ainsi sa lutte contre le saint-siège, qui devait lui coûter si cher et l’amener à des actes si odieux. C’est un