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réveiller sur ce point le souvenir de mes sujets, un article a été préparé sur les travaux de mon frère, qui doit leur être communiqué par les journaux.

Il semble que le haut comique de cette scène, qui laisse loin derrière elle les odes, les sonnets, les cantates en l’honneur de l’impérial soldat de la chasteté, de la religion et de la tempérance, ne puisse être dépassé ; on se trompe, ce n’est rien encore. Pour savoir jusqu’où peut aller l’amalgame de sentimens contradictoires dans un pays où l’on mêle dans la salade le sucre et le vinaigre, il faut avoir vu M. de Bismarck, de retour à Berlin, prier M. de Keudell de lui jouer une fois encore la marche funèbre de Beethoven, qu’il a entendue, on s’en souvient, avec un si profond recueillement la veille de la guerre. Cette marche ouvre et clôt le récit.

— Beaucoup de braves soldats ont péri dans la lutte, dit M. de Bismarck lorsque s’est éteint le dernier accord, — mais leur sang n’a pas coulé en vain ; l’ère qui s’ouvre est remplie d’espérances. Que les dissonances se changent en harmonie, et puisse l’union de toute l’Allemagne être notre récompense ! — À ces mots, qui résument l’œuvre de M. Samarow, glorification ininterrompue de l’unitarisme, la comtesse regarde tendrement son époux, et M. de Keudell commence l’hymne guerrier qui fortifia jadis l’âme d’un grand réformateur allemand, tandis que M. de Bismarck, les mains jointes, les yeux levés au ciel, murmure ces paroles :

Eine feste Burg ist unser Gott,
Ein starke Wehr und Waffen !


La plus cruelle parodie du sentimentalisme allemand n’imaginerait rien de mieux : musique, philosophie, amour, mitrailleuses, et, au-dessus de tout cela, ses ailes d’aigle éployées, ce Dieu des armées qui ressemble à Odin plutôt qu’à Jésus.

Est-ce là vraiment ce que va devenir le roman allemand, qui si longtemps s’est obstiné à planer dans un monde supérieur et fantastique, au-dessus des passions humaines, sur les plus hauts sommets de la pure fantaisie, qui ensuite, par un revirement heureux, a inauguré avec Goethe le règne de la vérité, de la nature, de l’observation, tout ensemble délicate et sincère, cette école réaliste, détournée depuis de sa voie, mais si prospère jusqu’ici dans le pays qui la vit naître ? Que de noms illustres ou sympathiques nous saluions naguère encore ! Fritz Reuter, dont les récits pleins d’humour, de simplicité, de grâce jeune, agreste et sereine, nous promenaient à travers ces belles campagnes du Mecklembourg, si passionnément, si douloureusement évoquées par l’auteur d’Olle Kamellen durant sept années de captivité dans les prisons d’état de la Prusse, — et tant d’autres, qui depuis la guerre ont gardé le