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trouveront en face d’un ennemi doublement formidable. Je suis sûr que toute la nation française se lèvera en cas de guerre ; le grand Napoléon a vaincu avec des soldats formés dans l’action et non dans les casernes ; ne tardons pas à l’imiter.

Le visage de l’empereur s’assombrit. — Qu’en dites-vous, mon cher Niel ? Les paroles de M. le ministre retentiront dans tous les cœurs français, et il faut tout le sentiment de mon devoir pour m’empêcher d’y applaudir moi-même. Immédiatement, après Sadowa, lorsque l’Allemagne était encore sous les armes, la Prusse ébranlée par le choc, et que l’Autriche n’avait pas conclu la paix, il aurait été possible de faire ce que M. le ministre conseille ; aujourd’hui ce serait un jeu dangereux. Et combien de temps vous faut-il, ajoute l’empereur, pour exécuter ce que vous croyez être indispensable ?

— Deux années, sire.

Napoléon III se retire et va écrire ses résolutions ; il ne veut pas agir, il accepte les changemens qui ont eu lieu en Allemagne ; mais accepter n’est point reconnaître, ce n’est encore que gagner du temps, — et il avoue à son fidèle confident Piétri qu’il est toujours reconnaissant envers ceux qui le forcent de faire ce qu’il désire lui-même. — Nous ne voyons plus Napoléon III que dans une scène mélodramatique avec la malheureuse impératrice Charlotte, qui épuise les supplications sans réussir à l’émouvoir. L’empereur a besoin pour les desseins de sa politique des troupes qu’il a fait revenir du Mexique. La malédiction de la souveraine déchue, de l’épouse au désespoir, pèsera sur sa tête comme un nuage plein de tempêtes, et nous pouvons pressentir qu’une série de désastres va commencer pour la France, tandis que se lève d’un autre côté le soleil resplendissant de la Prusse.

Avec la paix d’une bonne conscience et d’un grand devoir accompli, le roi Guillaume est rentré à Berlin au milieu de l’enthousiasme de ses sujets qui s’émerveillent des résultats presque fantastiques de cette campagne de sept jours. Il conserve dans le succès l’humilité chrétienne la plus édifiante. A ceux qui le félicitent d’avoir triomphé seul : — La Prusse, répond-il dévotement, avait les deux alliés qui composent notre devise : Dieu et la patrie. Je suis touché des sentimens de mon peuple, mais je voudrais qu’il se rappelât celui à qui nous devons une grande partie de nos succès. Avec quel zèle et quelle constance feu mon frère Frédéric-Guillaume IV, n’a-t-il pas travaillé au bonheur de la Prusse, à la grandeur de l’Allemagne ! .. Si Dieu nous a permis de recueillir les fruits de ses efforts, il ne faut pas oublier la main qui planta cet arbre, qui en arrosa les racines au temps de la sécheresse. Pour