Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/970

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour faire rentrer dans leur fourreau les épées déjà tirées à moitié ? Si Palmerston vivait encore, il eût été possible de s’entendre avec lui, mais l’Angleterre a remplacé les grandes actions par les grands mots. Vous figurez-vous que ma voix seule suffise, et, si on ne l’entend pas, ne dois-je pas craindre que les deux adversaires ne se réunissent contre moi ? Un tel jeu serait digne de Bismarck. Ah ! j’ai laissé cet homme devenir trop grand !

M. Drouyn de Lhuys, pour rassurer l’empereur, lui répète une conversation qu’il a eue autrefois avec le ministre de Prusse, qui, parlant sans détours de la guerre contre l’Autriche comme d’une nécessité fondée sur le développement historique de l’Allemagne, ajoutait que le moment de cette guerre dépendrait des exigences de la politique, et qu’il ne serait jamais assez hardi, quant à lui, pour rien entreprendre contre la France et l’Autriche réunies. — Il suffira, continue M. Drouyn de Lhuys, que votre majesté m’autorise à lui déclarer que la France ne veut pas maintenant d’une guerre en Allemagne, et que, si elle se faisait, nous enverrions nos armées aux frontières.

— Je ne suis pas tout à fait de votre avis, réplique obstinément l’empereur, bien que je ne méconnaisse ni les inconvéniens qui peuvent naître pour la France d’une guerre allemande, ni les facilités que nous avons de faire valoir notre influence ; mais il y a un penchant général qui entraîne les nations à s’unir dans une activité de travail commun, et il me semblerait grave de m’opposer à cette impulsion du moment. L’Allemagne ne sera pas aussi dangereuse que vous le craignez. D’abord la soif de centralisation n’existe pas chez les Allemands ; ils tendent toujours à l’état fédératif. Puis je ne crois pas que l’un des adversaires triomphe absolument de l’autre ; ils s’affaibliront mutuellement, nous nous opposerons au vainqueur pour le modérer, et le résultat pourra bien être le partage de l’Allemagne en deux parties : la Prusse et l’Allemagne du nord, l’Autriche et l’Allemagne du sud.

— Ainsi votre majesté ne veut pas empêcher cette guerre ?

— Je ne crois pas que je le puisse ni que je le doive. L’Italie aussi me presse d’accomplir ma promesse : libre jusqu’à l’Adriatique.

— Un mot que votre majesté n’aurait jamais dû prononcer ! dit le ministre d’un ton ferme.

Napoléon soupire profondément. — Je veux faire encore une tentative de conciliation. Laissez-moi demander à Vienne si l’on est disposé à me céder la Vénétie pour la donner à l’Italie. Cela formerait la base d’une alliance possible avec l’Autriche, qui nous permît d’agir sur les affaires allemandes avec une vraie autorité et une espérance de succès. La Saxe insiste auprès de moi. pour que je ne prête pas assistance à la Prusse. Voulez-vous instruire en