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électriques qui ne sont visibles que par la secousse qu’ils font éprouver à celui qu’ils touchent l’atteignit au loin, et, comme le fer marche vers l’aimant, il alla sans dévier de sa route vers le point où l’appelait, sa force directrice. Là s’accomplirent les destinées qui lui avaient été marquées, et le chevalier fut heureux tant que la tyrannie qui le gouvernait consentit à sommeiller. Au bout de quelques années, peut-être par regret, peut-être par un cruel retour d’égoïsme, peut-être aussi par impitoyable ; caprice, elle envoya de nouveau le signe mystérieux, et, esclave obéissant, le chevalier, se levant, partit aussitôt sans mot dire et sans retourner la tête.

telle est l’assez triste réalité que la fatale habitude de l’analyse, habile à empoisonner tous les plaisirs naïfs de l’intelligence, nous laisse apercevoir sous cette légende. Admirez cependant comment ici l’imagination humaine s’est montrée l’émule presque victorieuse, de la nature. D’ordinaire la poésie se contente de transformer les objets dont elle s’empare par des procédés qui conservent l’objet ancien, dans le nouveau, à peu près comme l’églantine. des buissons est conservée dans la rose, de nos jardins ; ici, avec un simple calembour, elle a su tirer de la réalité une histoire qui n’y était nullement contenue, et qui est non plus une transformation, mais une véritable création nouvelle sans rapport aucun avec son germe, une création qui non-seulement voile la réalité, mais la met à néant et se substitue à elle. La réalité rampait comme une chenille, la légende vole comme le papillon aux ailes diaprées ; la réalité était équivoque et impure, la légende est chaste et immaculée comme le cygne au blanc plumage qui mena la barque du chevalier. Quant à la provenance de cette légende, elle est très clairement indiquée par le calembour même sur lequel elle est fondée ; c’est évidemment une invention de lettré, car la langue dans laquelle ce calembour a été fait est celle que parlaient seuls dans les pays germaniques les lettrés et les moines, c’est-à-dire la langue latine. Il porte sur la ressemblance des : deux mots cygnus et signum, ressemblance qui, au datif et à l’ablatif, est étroite jusqu’à l’identité. C’est donc une ingénieuse plaisanterie de clerc habile à recouvrir sa pensée d’un voile diaphane qui s’est transformée en gracieuse allégorie où l’élément populaire n’est entré pour rien, puisque les mots dont elle se compose n’ont pu être empruntés à l’idiome germanique.

Le palais ducal occupe le sommet d’une vaste place inclinée qui descend vers la Loire. Il faudrait peu de chose pour faire de cette place une des plus belles de la France entière : il suffirait d’abattre les trois ou quatre bicoques qui masquent la vue du fleuve, et de découvrir entièrement la cathédrale. Cet embellissement est