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d’ornement, remarquable par sa sobriété, tranche par ce caractère avec la prodigalité fantasque du moyen âge expirant, non moins qu’avec le luxe habituel des décorations de la renaissance. Le sommet et la base de la tourelle sont occupés par les armoiries seigneuriales qui se présentent encore mêlées aux figures d’ornement ; voici les bâtons noueux réunis en forme d’O de Jean de Clamecy, le fondateur du château, le cygne à chaîne d’or de la maison de Clèves, le mont Olympe des Gonzague. Les devises qui accompagnent les sculptures, et qui appartiennent toutes aux Gonzague, portent bien la marque de la renaissance et ont bien la saveur de leur Italie. Nec retrogradior, nec devio, dit l’une d’elles, je ne rétrograde ni ne dévie, expression parfaite de la fortune de cette famille, qui, sans jamais rien faire d’éclatant ni courir aucune généreuse aventure, sut s’élever, par la seule force et la seule suite du temps, au rang des familles princières. Une autre est formée par le nom de l’Olympe, écrit en caractères grecs, Olumpos, et par le mot fides ; une troisième enfin, qu’on peut dire mantouane de pied en cap, et par son auteur et par son sujet, est un vers entier de Virgile, igneus est ollis vigor et celestis origo, ils ont une force de flamme et une origine céleste. Si les armoiries et les devises appartiennent en grande partie aux Gonzague, les bas-reliefs appartiennent exclusivement aux Clèves. A l’exception de trois, qui sont consacrés à la chasse de saint Hubert, ils ne racontent tous qu’une même histoire, celle de ce mystérieux chevalier du cygne auquel la maison de Clèves se plaisait à rattacher son origine princière, à peu près comme les grandes familles grecques et romaines aimaient à se dire descendues d’Hercule et de Vénus, ou, à défaut d’un dieu olympien, de quelque naïade amoureuse ou de quelque faune séducteur.

Un jour que des chevaliers étaient rassemblés pour célébrer un tournoi sur les bords du Rhin, près de Cologne, la ville légendaire par excellence, on vit tout à coup s’avancer au loin sur le fleuve une splendeur éblouissante comparable à celle d’un métal neuf frappé par le soleil, précédée d’une blancheur mate pareille à une écume mouvante. La vision prit bientôt forme ; mais, au rebours de ces objets qui perdent leur prestige à mesure qu’on s’en approche, plus elle devint distincte, plus elle parut merveilleuse. Cette splendeur miroitante, c’était un jeune chevalier de la mine la plus séduisante, revêtu d’armes flambant neuves, et cette blancheur mouvante, c’était un robuste et gracieux cygne qui traînait sa barque. Le chevalier sauta sur le rivage d’un pied leste, et aussitôt barque et cygne disparurent. Interrogé sur ses noms et qualités, il déclara qu’il se nommait Hélias, qu’il était chevalier grec, et qu’il