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plantes belles et rares pour en conserver l’espèce, en vue des recherches des autres botanistes, il me parut touché et frappé de cette idée, et se promit de suivre désormais mon exemple dans ses courses. Il avait, comme tous les montagnards en contact avec les amateurs et les touristes, quelques notions d’histoire naturelle. Il voulut me conduire à sa maison de Pierrefitte pour me donner des échantillons de plantes et de minéraux, de belles cristallisations enlevées sur le géant même, des renoncules glacialis et des ramondies superbes cueillies près des glaciers. — N’est-ce pas, me disait-il, que nos montagnes sont le paradis des botanistes ? Vous y avez à la fois les fleurs et les fruits de toutes les saisons. Au fond des vallées, c’est l’été et l’automne ; vous montez à mi-côte, vous trouvez le printemps ; plus haut encore, et vous reculez dans la floraison que vous ne trouveriez ailleurs qu’aux premiers jours de mars. Ainsi vous pouvez récolter dans la même journée les orchis des premiers beaux jours et ceux de l’arrière-saison. C’est la même chose pour tout, pour l’air et la lumière. Vous avez en un jour, à mesure que vous montez, l’éclat du soleil sur les lacs, la brume d’automne sur les hautes prairies, et la majesté des hivers sur les cimes. Comment pourrait-on s’ennuyer de la vue des plus belles choses ainsi rassemblées ? Une pareille richesse vaut bien d’être achetée par sept mois d’exil dans la plaine. C’est pourquoi nous aimons tant notre montagne, et lui pardonnons de nous chasser tous les ans. Nous comprenons qu’elle appartient à quelque chose qui est plus que nous, et qu’il faut nous contenter des beaux sourires qu’elle nous fait quand nous y rentrons.

Miquelon voulut encore m’héberger et me servir à Pierrefitte. J’étais honteux d’être ainsi comblé par un homme pour qui j’avais fait si peu. — Souvenez-vous, me dit-il quand nous nous séparâmes, que vous avez dit jadis devant moi à mon père : a II ne faut pas que cet enfant mendie plus longtemps ; il a dans les yeux quelque chose qui promet mieux que cela. » J’ai recueilli votre parole, et qui sait si je ne vous dois pas d’avoir voulu être un homme ?

George San».

Nohant, mars 1873.