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PHILIPPE.


venu où, sûre de son fiancé comme il était sûr d’elle-même, elle avait jugé qu’il lui fallait s’ouvrir de son amour à Mme et à Mlle d’Hesy. Elle avait été mal inspirée ce soir-là, et pourtant elle avait cru bien faire. Son tort avait été de vouloir qu’on l’agréât tout de suite, parce qu’elle était toute disposée à se livrer. Dès ce premier instant, l’accueil de la mère et de la sœur de Philippe avait été tel qu’Elsie crut avoir commis une inconséquence de jeune fille; et cependant non, ce n’était pas cela. Ce froid accueil ne lui était pas personnellement hostile, ne lui reprochait pas une démarche aventurée : elle y avait bien réfléchi et s’en était comme assurée d’instinct; il accusait chez les deux femmes le trouble de l’âme et la terreur d’une situation grave. Elsie, à n’en point douter, arrivait à elles comme un danger; mais lequel ? En vain elle avait cherché. Plusieurs fois elle avait interrogé Philippe sur les circonstances qui avaient précédé cette première visite. Aussi longtemps qu’il n’avait parlé que d’une jeune fille qu’il aimait, cette bru inconnue n’avait éveillé contre elle que des susceptibilités de tendresse et de jalousie; ce n’était que lorsqu’il avait prononcé le nom de famille de sa fiancée que tout avait changé. Alors, — ne venait-il pas de le lui répéter ? — sa sœur s’était émue, et Mme d’Hesy était demeurée silencieuse. Or ce nom évidemment ne signifiait rien en ce qui touchait Elsie; c’est donc son père qu’il mettait en cause. De quelle façon ? Là encore elle avait cherché avec une douloureuse obstination. Mme d’Hesy et sa fille venaient la voir, usaient de détours, l’entouraient de caresses et de défiance, ne se décidaient point toutefois à parler. Que savaient-elles donc contre son père, qu’avaient-elles entendu dire qu’elles n’osassent l’avouer ? Mais voilà que, depuis la veille où elle avait reçu la lettre de M. de Reynie, Elsie avait pressenti autre chose. Son père avait connu les deux femmes, il se faisait une joie de ce mariage qu’on lui annonçait, il était inconscient de ce qui se passait, il hâtait son retour. On voyait qu’il avait aimé, qu’il aimait encore Clotilde d’Hesy; il le cachait à peine à sa fille. H eût été bien simple que Mme d’Hesy et Clotilde eussent dit en ce cas à Elsie qu’elles connaissaient M. de Reynie. Elles ne l’avaient pas fait; bien plus, elles n’avaient jamais prononcé le nom de cet homme devant Philippe. Pourquoi cela ?

C’est à ce point de ses déductions et de ses recherches que s’arrêtait Elsie. Elle ne savait plus quelle accusation on pouvait formuler contre son père. Tant d’années écoulées, un tel silence gardé par la mère et la fille, la tendresse de M. de Reynie pour elle, le respect qu’elle avait pour lui, ce combat de la vie, plein de mystère et de périls où elle était jetée, de folles et coupables suppositions qui l’assaillaient, qu’elle écartait, son innocence instruite qui la