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Le public est parfois appelé à juger de la valeur de l’enseignement musical distribué à l’institution. On y donne des concerts qui ont une très réelle valeur. Dans la chapelle, dont le sanctuaire est voilé par de larges rideaux, on réunit les invités ; les enfans sont placés sur une estrade, les garçons d’un côté, les filles de l’autre. J’ai assisté à l’une de ces fêtes, l’impression est triste, c’est l’infirmité qui domine ; ces faces immobiles et sans regard sont douloureuses à contempler. La sensation s’efface promptement, et l’on reste étonné de l’ensemble des exécutions difficiles. Il n’y a pas une hésitation dans la rentrée des parties secondaires, pas une note douteuse. Le chef d’orchestre conduit en sourdine, et le bruit de sa spatule ne parvient même pas à l’oreille des auditeurs. Plusieurs anciens élèves, actuellement professeurs à l’institution, ont fait entendre des compositions remarquables[1], à la fois très sérieuses et très mélodiques. Lorsque les filles se lèvent pour chanter, tous les garçons penchent la tête de leur côté comme pour mieux écouter « les jolis sons » qu’ils vont entendre. La partie vocale est la moins satisfaisante, par la simple raison que ces enfans sont trop jeunes et qu’ils n’ont point encore la voix formée. Au reste, on ne néglige rien pour développer en eux le goût et la science de la musique ; ils ont leur loge au Conservatoire, des places à l’Opéra-Comique, des sièges réservés aux concerts du Grand-Hôtel. L’Opéra, qui les accueillait autrefois, leur a fermé ses portes : la grosse subvention qu’il reçoit devrait cependant l’engager à être moins inhospitalier pour des enfans infirmes à qui l’audition de la musique est une joie exquise et un très utile enseignement. L’excellence des études musicales de l’institution se démontre par ce fait, que depuis vingt ans les jeunes aveugles ont obtenu cinq prix et treize accessits aux concours du Conservatoire.

L’institution voudrait bien se débarrasser de l’apprentissage professionnel, afin de pouvoir se consacrer exclusivement à l’enseignement scolaire et musical. Ce serait évidemment un grand bienfait pour elle ; il faudrait lui accorder le droit d’évacuer sur nos rares maisons de province les enfans inhabiles à la musique, et l’autoriser à y prendre les élèves doués de dispositions particulières comme virtuoses ou comme compositeurs. On obtiendrait ainsi, je crois, des résultats importans, et l’institution serait promptement à même de fournir des organistes aux principales églises de France ; c’est là un double avantage qui n’est pas à dédaigner. Aujourd’hui les efforts s’éparpillent un peu autour de ces petits métiers qui ne sont qu’un pis-aller stérile ; il serait bon de les concentrer sur cet art multiple

  1. Je citerai un Agnus Dei de M. Person, un menuet de quatuor de M. Proust, deux très jolis chœurs, le Combat des rats et des belettes, le Retour de croisière, par M. V. Paul,