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ceux qui vivent dans l’institution du boulevard des Invalides, il aurait promptement changé d’opinion. Il est difficile en effet de voir une pudibonderie pareille ; jamais Diane au bain ne fut plus chaste, plus effarouchée, plus soupçonneuse. Il faut les voir se lever le matin et sortir du lit avec mille précautions précieuses, se cacher au moindre bruit et tendre l’oreille pour n’être jamais pris au dépourvu. C’est là probablement le fruit de l’éducation austère et très morale qu’on leur donne ; mais c’est aussi le résultat de cette défiance qui ne les abandonne jamais, même dans les actes les plus simples de la vie, et qui semble faire partie de leur nature. Ignorant ce que c’est que la vue, ils lui attribuent sans doute une puissance diabolique : pour eux, elle est un toucher à distance, mais singulièrement pénétrant, rayonnant et perspicace ; ils la redoutent et ne savent parfois qu’imaginer pour s’y soustraire. Dans leur salle de bains, qui est très belle, très bien disposée, suffisamment outillée d’instrumens d’hydrothérapie, et où on les conduit très souvent, ils sont visiblement mal à l’aise et se dissimulent le mieux qu’ils peuvent à des regards qu’ils soupçonnent et qui ne s’occupent guère d’eux. On fait bien de les baigner fréquemment et de les fortifier par des lotions d’eau froide ; la plupart sont anémiques, de chair blanche et molle ; les scrofules déforment les garçons, la chlorose affaiblit les filles ; on agit sagement et humainement en réagissant contre cet état général qui, parfois et malgré tous les soins, les conduit à la mélancolie, à ce tædium vitæ où périt toute énergie. Cependant, quoique. cette maladie soit commune chez les aveugles, il est sans exemple qu’un d’eux ait essayé d’y échapper par le suicide, comme cela se voit si souvent chez les autres hommes.

Non-seulement les aveugles sont très pudiques, mais ils sont d’une propreté remarquable. Il est vrai que la grande cause de la saleté ordinaire des écoliers, l’encre, n’existe pas pour eux à l’institution ; néanmoins il est facile de reconnaître qu’ils se soignent avec plaisir, que le contact de la poussière, de la graisse, que toute tache perceptible au toucher leur est pénible. Leur costume fort simple, — un pantalon de drap et une blouse de siamoise, — n’est jamais déchiré, et, lorsque par hasard ils se laissent tomber pendant la récréation, ils s’époussettent partout et longtemps avant de reprendre leurs jeux. Ils sont en outre extrêmement ordonnés : cela se comprend ; s’ils ne retrouvent pas immédiatement les objets sous la main à une place déterminée, ils sont déroutés et ne savent que devenir. La plus mauvaise plaisanterie que l’on puisse faire à un écolier aveugle serait de bouleverser son pupitre. Ces bonnes qualités ont leur contre-poids ; l’homme n’est point parfait, même à l’institution des jeunes aveugles. Comme les sourds-muets, ceux-ci ont un insupportable orgueil ; on dirait que leur infirmité