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L'ENSEIGNEMENT EXCEPTIONNEL

II.
L’INSTITUTION DES JEUNES AVEUGLES.


I

Un pauvre tisserand de Saint-Just-lès-Marais, petite bourgade de Picardie, fut le père de deux hommes dont la France peut à bon droit s’enorgueillir : l’un, René Haüy, découvrit la loi constitutive de la formation des cristaux naturels ; l’autre, Valentin, inventa la méthode d’enseignement qui devait rendre en partie aux aveugles le rang dont leur infirmité les avait exclus. Celui-ci était une nature singulièrement douce, naïve et assez incomplète ; à distance, lorsqu’on lit ses ouvrages, sa biographie, les quelques lettres autographes que l’on possède encore, il apparaît comme un théoricien ingénieux et persistant, mais incapable de résoudre les problèmes les plus simples de l’administration la moins compliquée. On reconnaît que, s’il eut l’honneur de fonder la première institution d’aveugles travailleurs, il ne put jamais parvenir à la diriger convenablement. Il a raconté lui-même dans quelle circonstance l’idée lui vint de faire pour les aveugles ce que l’abbé de l’Épée faisait pour les sourds-muets. En 1784, il assistait à un concert donné par une dizaine d’aveugles qui, les yeux dissimulés derrière des lunettes, placés en face de pupitres où s’étalaient des cahiers de musique, écorchaient des airs qu’ils jouaient sans rhythme ni mesure. Tout en écoutant ce charivari, il se souvint qu’un jour, lorsqu’il venait de faire l’aumône à un aveugle, celui-ci l’avait appelé et lui avait dit : « Vous avez cru me donner un sou tapé, et vous m’avez remis un petit écu ; » il en conclut que les êtres privés de la