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l’Allemagne et l’effacement volontaire des grandes puissances européennes ont gravement altéré la situation des petites puissances neutres ; elles sont maintenant comme entraînées malgré elles dans le mouvement européen. Si une nouvelle guerre éclatait, il ne serait pas très prudent de leur part de se fier à la neutralité qui les protège ; elles seraient peut-être obligées de prendre parti pour sauver leur existence même, et de devenir les humbles satellites de quelqu’une des grandes puissances belligérantes, pour ne passe laisser broyer entre leurs voisines. Grâce à sa position géographique, la Suisse est peut-être moins exposée à ce péril que telle autre, la Belgique par exemple ou la Hollande, mais elle doit cependant s’y préparer. D’autre part, si elle renforce son état militaire et si elle centralise son gouvernement, elle semble accepter cette situation nouvelle, et dans une certaine mesure elle l’aggrave. Elle se condamne pour ainsi dire elle-même à prendre une part active dans les guerres européennes, elle renonce à une neutralité qui est peut-être encore sa dernière sauvegarde.

On le voit, la Suisse subit en ce moment le sort commun de toutes les nations de l’Europe. Elle ne saurait échapper, ni au dedans ni au dehors, à une crise redoutable et décisive. Pour elle, les dangers intérieurs et les dangers extérieurs se compliquent d’une manière alarmante. Ce sont les événemens du dehors qui ont précipité et envenimé la crise constitutionnelle. Ce sont les déchiremens intérieurs qui peuvent à l’occasion provoquer les interventions étrangères, et qui encouragent les spéculations de la politique allemande. Voilà ce que personne ne devrait oublier en Suisse, et ce qui doit rester toujours présent à l’esprit de la politiqne française.

Que les catholiques et les protestans, les conservateurs et les radicaux, les Welches et les Germains, se pénètrent de cette vérité : toute discorde grave serait en ce moment la ruine de leur patrie commune. Il ne s’agit pas ici d’une guerre de races ou d’une guerre de religion, ni du triomphe d’une théorie politique sur une autre ; il s’agit, pour qui sait aller au fond des choses, de leur indépendance et de leur nationalité à tous. Il ne faut à aucun prix qu’ils se passent la fantaisie d’une révolution violente dans l’état actuel de l’Europe. Il ne faut pas que les Français eux-mêmes, voisins et amis de la Suisse, cèdent au vain plaisir de retrouver dans ce petit pays l’écho de leurs ressentimens patriotiques. Si l’antagonisme qui règne depuis un an entre les deux moitiés de la nation suisse s’aigrit et se prolonge, il amènera forcément une pacification imposée par l’Allemagne ; si une guerre intérieure venait à éclater entre les cantons à la mode du temps passé, elle aboutirait à un