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gagner. Il importe donc, soit de réunir les deux votations en une seule, soit de décider, si elles continuent à se faire séparément, que le droit électoral sera le même pour l’une et pour l’autre.

Quant à l’initiative populaire instituée par l’article 88 du projet de révision, il est difficile d’y voir autre chose qu’une vaine affectation de démocratie sans aucune utilité pratique. Lorsque 50,000 citoyens ou cinq cantons réclament l’abrogation ou la modification d’une loi fédérale ou d’un arrêté fédéral, ou qu’ils demandent « qu’une nouvelle loi ou un nouvel arrêté soit rendu sur un sujet déterminé, » les deux conseils seraient obligés d’en délibérer, et, faute par eux d’accéder à cette demande, ils devraient la soumettre à la ratification du peuple, qui prononcerait alors souverainement. Tout ce pesant appareil de pétitionnemens et de votations populaires est bien superflu, car, lorsque l’opinion publique réclame une réforme ou une mesure nouvelle, ce n’est pas dans un pays libre comme la Suisse qu’elle manque de moyens de se produire. On ne fera jamais croire à personne que, dans des conseils électifs aussi fréquemment renouvelés que ceux qui siègent à Berne, il ne se trouve pas une seule voix pour s’en faire l’organe. 50,000 citoyens ne forment d’ailleurs qu’une infime minorité de la nation, un dixième à peine du corps électoral. Qu’arriverait-il si par malheur 50,000 citoyens venaient à pétitionner dans un sens et 50,000 dans un autre ? Ou bien le droit d’initiative restera sans emploi dans l’arsenal de la constitution, ou bien, si jamais un parti essaie de s’en armer, il deviendra une cause d’agitation stérile et un instrument de révolution.

Voilà les seuls dédommagemens que les auteurs de la révision offrent aux cantons pour prix de ce qu’ils leur enlèvent. Il serait dérisoire de dire qu’ils leur rendent par là l’équivalent de ce qu’ils leur prennent. Il semble qu’ils auraient pu sans grands frais d’imagination leur offrir une compensation plus satisfaisante. Le référendum, tel qu’on veut l’établir, ne ranimera point la vie cantonale, n’entretiendra pas le mouvement politique dans tout le corps de la nation. Les plébiscites exprimés par oui ou par non sont toujours les actes d’une souveraineté un peu fictive. Les minorités d’ailleurs seront opprimées par les majorités, et il pourra arriver que le vote unanime d’un canton ne l’empêche pas d’être vaincu. Après plusieurs expériences réitérées de leur impuissance, les électeurs se dégoûteront de ces protestations inutiles, ils se désintéresseront des affaires publiques, et ils apprendront à s’abstenir, comme on fait dans les pays centralisés. Il en serait tout autrement si, au lieu de soumettre les lois fédérales à une ratification générale et théorique, on les livrait à la discussion des législatures