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l’Allemagne, la grande expérience de l’église libre dans l’état libre.

Le nouveau projet de constitution contient, à l’article 48, des préceptes excellens. Il déclare que « la liberté de conscience et de croyances est inviolable, » que « nul ne peut être inquiété dans l’exercice de ses droits civils ou politiques pour cause d’opinion religieuse, ni être contraint d’accomplir un acte religieux ou encourir des peines à ce sujet, » que « nul n’est tenu de payer des impôts dont le produit est spécialement affecté aux frais proprement dits du culte ou d’une association religieuse à laquelle il n’appartient pas, » que « nul ne peut, pour cause d’opinion religieuse, s’affranchir de l’accomplissement d’un devoir civique. » C’est là le vrai langage de l’état laïque, quoique respectueux de la liberté religieuse. C’était la réponse qu’il convenait de faire à l’étrange pétition adressée au conseil fédéral par les évêques catholiques, demandant, sous couleur de liberté, la protection du gouvernement « contre les abus de la presse, » son intervention dans le Tessin et à Bâle en faveur du clergé orthodoxe, et la prescription du repos du dimanche aux troupes fédérales. Il est seulement fâcheux que les faits ne soient pas d’accord avec les paroles, et que le gouvernement paraisse moins préoccupé de faire respecter sincèrement la liberté de conscience que d’abuser des droits de police que la constitution lui réserve contre les empiétemens des autorités ecclésiastiques, pour persécuter une croyance au profit d’une autre et juger des questions de doctrine qui ne sont point de son ressort.

En tout ceci, la conduite du gouvernement fédéral est équivoque et contradictoire ; la sincérité de ses déclarations libérales est déjà mise en doute par ses actes. Après avoir élaboré le projet qu’on vient de voir, il n’hésite pas à voguer à pleines voiles dans les eaux de la politique allemande et à encourager dans les cantons l’établissement d’une véritable constitution civile du clergé. Il semble qu’il veuille les dédommager de leur affaiblissement politique et militaire en leur permettant d’établir une sorte de despotisme religieux. Si même il faut en croire les bruits qui courent, le gouvernement fédéral médite de faire plus encore : il veut centraliser à son tour le pouvoir religieux qu’il accorde aux cantons et introduire dans le nouveau projet de révision qu’il prépare des mesures analogues à celles qui viennent d’être prises à Genève et à Neufchâtel. Ce serait, paraît-il, la vengeance des révisionistes contre les catholiques ultramontains, qui se sont joints, pour repousser la révision, à leurs anciens adversaires, les protestans conservateurs. Si la confédération prétend faire de l’exercice des cultes un département de l’administration civile, il vaut mieux qu’elle le dise et qu’elle l’inscrive dans ses lois ; mais ce serait pour la Suisse une