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PHILIPPE.

traits, d’une régularité parfaite, un peu sévère, avaient une expression d’énergie vaillante et résignée. Elle devait avoir souffert des mêmes chagrins que sa mère et les avoir, comme elle, à demi oubliés. Elle était en grande toilette, ce qui donnait à sa démarche une majesté gracieuse. Ses cheveux et ses yeux noirs, son nez droit, sa bouche, discrètement fermée sous le sceau d’un secret, offraient tous les indices de la femme généreuse qui de parti - pris a renoncé au bonheur, mais qui s’est faite au sacrifice et n’accuse pas la destinée. Elle embrassa Mme d’Hesy avec une vraie tendresse d’amie et de fille.

— À la bonne heure ! lui dit sa mère ; te voilà belle et souriante. Laisse - moi te regarder un peu. Comme la toilette te va bien !

— Ne dirait - on pas que tu ne m’as jamais vue ainsi ?

— Je t’y vois si rarement !

Clotilde s’assit. Elle revenait d’une matinée musicale. On l’avait gardée à diner après le concert ; et voilà pourquoi elle rentrait si tard. Elle se mit à raconter à sa mère ce qu’elle avait vu, ce qu’elle avait entendu, tous les menus détails de conversation ou de toilettes. Les deux femmes causaient avec un enjouement égal, avec une entente complète d’appréciations et de jugemens. Elles se ressemblaient par le visage, par le son de la voix, par les gestes. Toute leur vie passée ensemble les avait en quelque sorte fondues l’une dans l’autre, par les mêmes épreuves et par les mêmes joies. C’étaient moins la mère et la fille que deux compagnes qui ne se sont jamais quittées, auxquelles une affection puissante et partagée tient lieu sans réserve de sentimens plus vifs, irréalisables ou brisés.

— Y avait - il beaucoup de jolies femmes ? demanda Mme d’Hesy.

— Comme à l’ordinaire… Elle se reprit : — Ah ! si fait, une ravissante jeune fille que je n’avais point encore vue. Les plus beaux cheveux et les plus jolis yeux du monde, tout un ensemble de physionomie étrange et caressant, la grâce d’une enfant avec une fierté juvénile. J’allais demander qui elle était lorsqu’elle a disparu dans le salon voisin pour ne plus revenir.

— Ah ! fit Mme d’Hesy, et Philippe ?

Elle avait à peine prononcé ces mots, que Philippe entra. C’était un vrai jeune homme aux allures gaies et pétulantes, d’une charmante expression de visage avec des yeux hardis et limpides, un prompt et spirituel sourire.

— Bonsoir, chère maman ! dit - il tout d’abord en embrassant Mme d’Hesy ; puis il embrassa Clotilde, et se posant devant elle :

— Et toi, grande sœur, comme te voilà jolie ! Mais sais - tu que c’est très mal de te cacher, ainsi que tu l’as fait, parmi les douairières,