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vassales aspiraient à l’indépendance, les classes privées de droits politiques commençaient à les réclamer. Vaud s’était déjà révolté contre Berne ; elle s’était soulevée contre son évêque ; Genève avait fait une révolution démocratique et nommé une convention nationale. Cependant la lutte se prolongeait entre l’ancien et le nouveau régime. La révolution française semblait déjà terminée que la Suisse était encore plongée dans des agitations sans cesse renaissantes. Les oligarques et les unitaires, comme on disait alors dans la langue de la révolution, se succédaient au pouvoir avec une instabilité déplorable, les premiers attachés aux anciennes traditions, aux anciennes libertés locales, aux anciens privilèges aristocratiques, et hostiles à tout projet d’unification révolutionnaire, les autres épris de l’idéal de la révolution française et désireux de fonder en Suisse une république une et indivisible à l’image de la république française. Comme de raison, c’étaient les unitaires qui invoquaient avec le plus d’ardeur le secours de l’étranger. Les populations vassales, longtemps opprimées par leurs voisines, regardaient naturellement du côté de la France, et appelaient à grands cris son intervention libératrice.

On sait comment le directoire et le consulat usèrent des discordes intérieures de la Suisse pour y établir leur ascendant et pour en faire à peu près la conquête. C’est un exemple de nature à faire réfléchir les partis imprudens qui pourraient être encore une fois tentés de faire intervenir les influences étrangères dans le règlement de leurs difficultés intérieures, et qui ne craindraient pas de contracter avec telle ou telle puissance victorieuse une alliance qui deviendrait bientôt une véritable sujétion. Si le cabinet prussien a des projets de conquête sur la Suisse, il n’aura pas autre chose à faire que ce que faisait la première république française à l’époque même où elle se vantait de ne soumettre les nations que pour les mieux affranchir. Dès 1798, le directoire profitait des querelles des oligarques et des unitaires pour occuper le pays avec une armée. Le territoire suisse était remanié sous l’influence de la politique française ; de treize cantons, les envoyés du directoire en faisaient dix-neuf, ou plutôt dix-huit, car le Valais, qui était resté jusque-là une république indépendante, demeurait aux mains de la France pour payer le prix de son intervention. Les bailliages italiens, le pays de Vaud et le pays d’Argovie étaient élevés à la dignité de cantons souverains. Le travail d’unification commençait sous la protection de nos armées, que le directoire, à court d’argent, trouvait commode de faire vivre aux dépens d’un pays étranger, et qui en profitaient elles-mêmes pour rançonner cruellement leurs alliés.